Entrée en matière
De toutes les doctrines de la foi chrétienne, aucune n'est plus mal vue ni moins crue à notre époque que la doctrine de l'enfer. Elle scandalise la quasi totalité des non-croyants, et, à en croire un sondage réalisé dernièrement par le magazine L'Express, elle scandalise une solide majorité des pratiquants. À la question « Croyez-vous à l'enfer ? », soixante pour cent des pratiquants interrogés ont répondu « non ».
L'argument le plus courant formulé contre l'existence de l'enfer pourrait être exprimé ainsi : « Les souffrances physiques évoquées dans les Écritures sont barbares, primitives, grotesques et horribles. » En effet. Même si le feu et le souffre et les grincements de dents ne sont que des images, ce que représentent ces images est, effectivement, horrible. Mais ce n'est pas là un argument contre l'existence de l'enfer, ce n'est qu'une simple observation: l'enfer est horrible! Cela ne prouve rien du tout quant à son existence ou sa non-existence. Cette observation, aussi exacte qu'elle soit, ne devient un argument contre l'existence de l'enfer que si nous supposons qu'une chose aussi horrible ne peut pas exister. Or, c'est là une supposition tout à fait gratuite. Car les choses horribles, ça existe bien. La douleur physique au point de rendre fou, ça existe. La méchanceté humaine et la cruauté, ça existe. L'holocauste, ça a existé. Cette objection n'est pas tant un argument contre l'enfer qu'une confession de naïveté.
Le fait est que les souffrances des damnés ne sont pas des tortures d'ordre physique. 2 Thessaloniciens 1.9 (TOB) : Leur châtiment sera la ruine éternelle, loin de la face du Seigneur et de l'éclat de sa majesté. L'enfer est un état d'esprit, ce qui ne diminue en rien du tout son caractère horrible. Au contraire, rien sur la terre n'a autant de potentiel pour le bien ou le mal, pour le plaisir ou la souffrance, pour la joie ou l'horreur, que l'esprit.
Contrairement au ciel, l'enfer n'est qu'un état d'esprit, il est moins que réel. Dans son petit roman L'autobus du paradis (Le Grand Divorce), C.S. Lewis raconte une excursion en car que font quelques habitants de l'enfer pour rendre visite aux habitants du ciel. Un de ces derniers explique aux visiteurs (p. 76) : « Tout état d'esprit limité à lui-même, tout cloisonnement dans lequel s'enferme la créature est, en définitive, l'Enfer. Mais il n'en va pas de même du Ciel. Celui-ci est la Réalité. Tout ce qui est pleinement réel est céleste. »
En réalité, les damnés se trouveront dans le même lieu que les élus : ils se trouveront dans la réalité. Seulement, les damnés haïront cette réalité, ce sera leur enfer. Les élus aimeront cette réalité, ce sera leur paradis. C'est comme deux personnes assises l'une à côté de l'autre à l'opéra ou à un concert de rock: ce qui est le paradis de l'une sera l'enfer de l'autre.
L'enfer n'est pas au fond une punition qui nous sera imposée de l'extérieur. Il prend sa source au-dedans de nous, c'est un cancer spirituel qui nous dévore de l'intérieur. L'enfer ne fait pas partie intégrante de l'univers, ce n'en est pas un élément nécessaire. S'il existe, c'est que nous – êtres humains et angéliques – l'avons librement choisi et créé nous-mêmes. L'enfer est le revers de la médaille du libre arbitre. Tout le monde veut avoir la liberté de choisir, personne ne veut que l'enfer existe : mais on ne peut pas en avoir l'un sans l'autre. « Il n'existe, en fait, que deux sortes de gens: ceux qui disent à Dieu : 'Que ta volonté soit faite!', et ceux à qui Dieu se résout finalement à dire : 'Que ta volonté soit faite!' Tous ceux qui sont en Enfer ont choisi d'y être. Sans ce choix personnel, il n'y aurait pas d'Enfer. » (C.S. Lewis, L'autobus du paradis, p. 80).
Mais comment quelqu'un pourrait-il préférer l'enfer au ciel ? C'est une question de croyance. Quand nous sommes égoïstes, quand le plus grand bien consiste pour nous à satisfaire notre propre volonté, nous avons tendance à croire à la philosophie de l'égoïsme. Nous croyons que l'enfer est plus désirable que le ciel parce que l'enfer est de l'égoïsme pur. La raison pour laquelle nous ne poursuivons pas plus la sainteté, c'est à cause de nos croyances. Nous croyons que la sainteté est triste, pénible, ennuyeuse et inhumaine. Pour nous, la sainteté s'oppose à la joie, et nous préférons la joie. Platon a écrit son grand chef-d'oeuvre La république pour nous convaincre du contraire: que le bien est toujours plus profitable – plus sain, plus satisfaisant, plus joyeux – que le mal.
Seulement le diable, notre ennemi, est le père du mensonge. Il peut non seulement nous rendre égoïstes, il peut nous faire croire à l'égoïsme et nous fait confondre ainsi le ciel et l'enfer. Voilà pourquoi la foi – la confiance que nous avons en Dieu – est si importante. Satan nous dit que le fruit défendu, qui porte une étiquette disant « Que ma volonté soit faite », nous rendra heureux. Dieu nous dit que ce fruit est mortel, que si nous en mangeons, nous mourrons. La question est de savoir : « Lequel faut-il croire ? » Platon avait raison à moitié : si nous croyions vraiment que la sainteté nous rendrait plus heureux, nous serions plus saints. Son erreur était de chercher le remède dans la raison humaine plutôt que dans la foi.
Or, si Dieu est amour et lumière et si Dieu est omniprésent, comment les habitants de l'enfer pourront-ils en être séparés ? Dans un sens, ils ne le seront pas. L'éclat de Dieu et son amour sont partout présents, même en enfer. Seulement, les damnés, qui résistent à tout ce qui vient de Dieu, se fermeront à cette réalité et la déformeront. Ils ressentiront l'amour de Dieu comme de la colère, sa joie comme le désespoir, sa lumière comme un feu brûlant. Dieu aime les « ordures » de l'enfer (le mot « enfer » ne se trouve nulle part dans la Bible : le mot « géhenne », que Jésus utilise pour évoquer le châtiment définitif des pécheurs, désignait le ravin en dehors de Jérusalem où on déposait et brûlait les ordures), mais les ordures de l'enfer n'aiment pas Dieu et se barricadent contre son amour. Les portes de l'enfer sont fermées à clé de l'intérieur.
Les damnés haïssent Dieu parce qu'il leur demande de venir à sa lumière à lui, et cela les blesse dans leur orgueil, ce serait la mort de leur égoïsme. Ils voient Dieu comme l'ennemi de ce qui leur est le plus cher: leur désir d'être leur propre dieu. Alors que les habitants de l'enfer n'aiment pas Dieu, lui les aime, et c'est là leur torture. Les flammes de l'enfer sont faites de l'amour divin. L'amour offert à celui qui ne veut que haïr est une torture. Si le soleil pouvait cesser de briller, ceux qui aiment les ténèbres ne seraient plus torturés par la lumière. Mais le soleil ne peut cesser de briller, pas plus que Dieu ne peut cesser d'aimer.
La question n'est pas de savoir si Dieu est amour ou si Dieu est lumière : la question est de savoir comment nous les hommes allons réagir à l'amour et à la lumière de Dieu quand il nous les fait connaître.