Entrée en matière
La Foi chrétienne ne se vend pas très bien de nos jours. La foi tout court, par contre, se vend extrêmement bien : la foi comme une attitude, la foi dans la pensée positive, la foi dans la foi. En même temps se vendent très bien de nouvelles fois bizarres: la foi dans les extraterrestres, la foi dans la Force, la foi dans les astronautes de l'antiquité, la foi dans l'astrologie – la foi dans presque n'importe quoi. Nous vivons une époque très crédule.
La raison en est probablement que, dans le domaine spirituel aussi bien que dans le domaine matériel, « la nature a horreur du vide ». Notre civilisation occidentale moderne est prête à gober presque n'importe quoi pour combler le vide laissé par la déchristianisation des quatre derniers siècles. Nous avons laissé tomber notre premier amour, le Dieu ancien, et maintenant, par dépit, nous sommes prêts à sauter dans les bras du premier nouveau dieu venu.
Pourquoi donc le Dieu ancien ne se vend-il plus très bien ? Il n'y a que deux raisons possibles : soit que le monde a changé, soit que nous avons changé. Quelle réponse est la bonne ?
Est-ce que les gratte-ciel et les bombes à laser et les ordinateurs rendent moins raisonnable la foi en Dieu ? Les découvertes en astronomie ou en médecine ont-elles prouvé que le Créateur des étoiles et du corps humain n'existe pas ? Pas du tout. Ce n'est pas dans le monde extérieur – le monde des anges et des insectes – qu'il faut chercher la raison pour laquelle la foi chrétienne ne se vend plus très bien, c'est en nous-mêmes. Non pas dans la physique mais dans la psychologie. Or, quels sont les besoins « consommateurs » remplis par la marchandise divine ? A quels manques dans la nature humaine la foi répond-elle ?
D'abord, nous avons besoin de connaître la vérité. Nous voulons vivre dans le monde réel, et non pas simplement dans un monde créé par notre propre imagination ou de celle de quelqu'un d'autre. La foi chrétienne prétend justement être la révélation divine de ce qui est vrai: le dévoilement de notre réalité et de notre destinée. La foi nous a-t-elle déçus sur ce point-là ? A-t-on réfuté ces doctrines ? A-t-elle fait faillite au point de vue intellectuel ?
Certainement pas. L'intelligence que les chrétiens ont du « dépôt de la foi » a sans doute grandi au cours des siècles. Entre Jésus et nous-mêmes, il y a l'apôtre Paul, Saint Augustin, Saint Thomas d'Aquin, Pascal et bien d'autres. Le corps mystique du Christ a connu une croissance non seulement en nombre mais aussi dans son approfondissement du mystère du dessein de Dieu. On ne peut donc pas prétendre que la foi a régressé dans le domaine intellectuel.
Un deuxième besoin humain, dans le domaine moral cette fois, c'est la bonté. Que dire de cet aspect de la foi : la mise en pratique de la sainteté dans la vie? Ici aussi nous pouvons constater un progrès. Entre Jésus et nous-mêmes il y a des millions de saints, connus et inconnus, dont la vie recommande la foi d'une manière bien plus probante que tous les bouquins des grands théologiens.
Il y a un troisième besoin humain : la joie. Et c'est là que le bât blesse. Alors que l'intellect chrétien et la volonté morale chrétienne ont mûri, le coeur chrétien, l'imagination chrétienne, s'est ratatiné : notre sens de la beauté, de la gloire, du sacré, de la magnificence, de l'émerveillement. Nous associons ces qualités-là au moyen âge plutôt qu'à l'époque moderne. L'idée que nous nous faisons de Dieu et de son dessein pour nous est sans joie.
Cela ne me plaît pas du tout de jouer le rôle de prophète de malheur, croyez-moi. D'un autre côté, il ne faut pas crier « Paix ! Paix ! » alors qu'il n'y a pas de paix. Il ne faut pas crier « Joie ! Joie ! » alors qu'il n'y a pas de joie. Vous croyez que j'exagère ? Regardez autour de vous. Parlez au chrétien moyen. Allez voir dans les églises. Vous voyez toute la joie ? Quand je regarde autour de moi – ou encore pire, quand je regarde au-dedans de moi – je vois un manque de joie si flagrant et si ridicule qu'on dirait que la bonne nouvelle n'a jamais été annoncée.
La religion populaire c'est : « Dieu existe et aimez votre prochain ». Ce n'est pas là, mes amis, la joyeuse nouvelle ! En fait ce n'est qu'une pauvre platitude qui n'est ni nouvelle ni particulièrement joyeuse. Le théologien danois Sören Kierkegaard disait dans son livre Comment le Christ juge le christianisme officiel : « Je voudrais placer la religion populaire à côté du Nouveau Testament pour voir quels sont les rapports entre l'un et l'autre. S'il paraît, ou bien si moi ou quelqu'un d'autre pouvons prouver qu'elle peut se maintenir face au Nouveau Testament, alors c'est avec la plus grande joie que j'y adhérerai. Mais il est une chose que je ne ferai pas, pas pour tout l'or du monde. Je n'accepterai pas, que ce soit en supprimant ou en manipulant les faits, de donner l'impression que la religion populaire et le christianisme du Nouveau Testament sont la même chose. »
Une des différences majeures entre le christianisme du Nouveau Testament et la religion populaire c'est la joie totale, folle, du premier – la joie qui mettait des cantiques dans la bouche des martyrs – et l'absence flagrante de joie du second. On raconte l'histoire d'un vicaire anglican à qui un collègue demande ce qu'il attend après la mort. Il répond : « Eh bien, si les choses devaient en arriver là, je suppose que j'entrerais dans le bonheur éternel, mais je préférerais bien que tu n'abordes pas des sujets aussi déprimants. » Si la joie même est déprimante, alors quelle déprime !
Comment donc retrouver la joie ? Il n'existe pour cela aucun truc, aucune formule magique. La joie n'est pas quelque chose que nous pouvons générer à force d'y travailler. La joie est, tout simplement. Nous la recevons, nous ne la fabriquons pas. Le règne du Messie est descendu sur la terre. Le Fils de Dieu, le Logos fait chair, est venu vers nous, et il est notre joie. Il est tout ce que l'esprit humain a jamais pu imaginer, tout ce que le coeur humain a jamais pu désirer – et plus encore. Voilà la bonne nouvelle. Voilà la source de notre joie.
Les deux ingrédients de la religion populaire sont un genre de foi (Dieu existe) et un genre d'amour (aimez votre prochain), mais il lui manque l'espérance. Et c'est l'espérance qui nous remplit de joie. Romains 12.12 (TOB) : 12 Soyez joyeux dans l'espérance.