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Les propriétés de l'amour II

Pour aller plus loin dans l'amour

© Max Dauner

Entrée en matière

Nous revenons de nouveau à notre texte, 1 Corinthiens 13, où nous sommes en train de découvrir la voie infiniment supérieure de l'amour. Ce serait difficile d'exagérer la place prépondérante que l'agapè occupe parmi les vertus chrétiennes dans le Nouveau Testament. Romains 13.8 (TOB) : 8 N'ayez aucune dette envers qui que ce soit, sinon celle de vous aimer les uns les autres. 1 Corinthiens 14.1 (TOB) : 1 Recherchez l'amour. 1 Corinthiens 16.14 (TOB) : 14 Faites tout avec amour. Ephésiens 5.2 (TOB) : 2 Vivez dans l'amour. Philippiens 1.9 (TOB) : 9 Que votre amour abonde encore. Philippiens 2.2 (TOB) : 2 Ayez un même amour. Colossiens 3.14 (TOB) : 14 Et par-dessus tout, revêtez l'amour : c'est le lien parfait. 1 Thessaloniciens 3.12 (TOB) : 12 Que le Seigneur fasse croître et abonder l'amour que vous avez les uns pour les autres et pour tous. Hébreux 10.24 (BC) : 24 Veillons les uns sur les autres pour nous inciter à l'amour. Hébreux 13.1 (TOB) : 1 Que l'amour fraternel demeure. 1 Pierre 4.8 (TOB) : 8 Ayez avant tout un amour constant les uns pour les autres. 2 Pierre 1.5,6 (TOB) : 5 Concentrant tous vos efforts, joignez à votre foi […] 6 l'amour.

Quelqu'un dira peut-être : « Tout cela est bien beau, mais en quoi consiste concrètement cet amour ? » Voilà justement le deuxième point de l'exposé de l'apôtre Paul sur l'amour en 1 Corinthiens 13. Aux versets 4 à 7, il enfile une série de quinze verbes qui nous présentent quinze propriétés de l'agapè en action. Jusqu'ici nous en avons considéré les six premières. Reprenons donc notre liste par la septième propriété de l'amour.

Il ne cherche pas son intérêt

S'il fallait choisir l'un des quinze attributs comme exprimant le mieux l'essence même de l'agapè, ce serait peut-être celui-ci. Le texte grec dit littéralement : « l'amour ne cherche pas ce qui est à lui. » Il ne passe pas tout son temps à revendiquer ses droits, à défendre ses intérêts, à rechercher son avantage. Comme disait Groucho Marx à une dame qui se tenait debout dans un bus bondé de passagers : « Je vous donnerais bien ma place, mais elle est déjà occupée. »

Laissé à lui-même, l'homme est, par nature, égoïste. Sa devise est : « Que ma volonté soit faite. » Si vous ne me croyez pas, vous n'avez qu'à observer un petit enfant. Il est gentil et patient quand il en a envie. Par contre, il est arrogant, impoli, jaloux, irritable, boudeur quand il en a envie. En d'autres termes, il n'en fait qu'à sa tête. Quand il se sent d'humeur à être gentil, il est gentil. Dans le cas contraire, attention ! Ca va beaucoup plus loin que ce que Freud appelait le « principe du plaisir ». Kierkegaard écrivait : « Si j'avais un serviteur qui, lorsque je demandais un verre d'eau, m'apportait dans une coupe un mélange des vins les plus chers du monde, je le renverrais, afin de lui apprendre que le vrai plaisir consiste non pas à jouir de quelque chose mais à faire ce qu'on veut. » Nous nous imaginons que ça serait le paradis, alors qu'en réalité c'est l'enfer.

L'agapè est le remède de cette maladie mortelle du coeur. L'amour est « le plein accomplissement de la loi » (Rm 13.10) parce qu'il ne cherche pas ce qui lui profite, il cherche ce qui plaît à Dieu et ce qui profite aux autres. L'amour dit : « Que ta volonté soit faite plutôt que la mienne. » Et il le dit avec sincérité. Mais est-ce possible qu'un ego puisse ne pas être égoïste ? Que le moi puisse dire : « Non pas comme je veux mais comme tu veux. » ? N'est-ce pas là une impossibilité et une contradiction dans les termes ? Non, ce n'est pas une contradiction, c'est un paradoxe ; ce n'est pas une impossibilité, c'est un miracle.

Bouddha n'a jamais compris ce miracle, quoiqu'il ait compris, peut-être mieux que tout autre philosophe non chrétien, la maladie que guérit ce miracle. Le premier point du noble sentier conduisant au nirvana, c'est que toute vie est douleur. Bouddha reconnaît par là la profondeur du mal qui afflige les hommes. Le deuxième point du noble sentier voit la source de tous nos maux dans le désir égoïste. Pas dans le monde, ni dans notre société, ni même dans notre comportement, mais dans notre être même. Le problème ne réside pas non plus dans quelque aspect superficiel de notre personnalité, un mal qu'un bon psychiatre pourrait guérir. Le problème se trouve au centre de notre âme. Bouddha voit que seul un traitement radical peut nous guérir. Très peu d'autres penseurs ont osé regarder en face cette vérité terrible. Seulement, l'unique traitement prescrit par Bouddha c'est l'euthanasie spirituelle : tuer le malade (notre ego, notre moi) pour guérir la maladie (notre égoïsme). Sa thérapeutique consiste à anéantir tout désir, toute volonté, toute conscience individuelle.

Mais il y a une bonne nouvelle. On n'est pas obligé d'aller chez le docteur Bouddha pour suivre une cure d'euthanasie. La maladie peut être guérie sans la mort du malade. Car l'agapè dissout le ciment supposé indissoluble qui colle ensemble l'ego et l'égoïsme. Elle détruit le cancer de l'égoïsme et crée à la place un coeur nouveau, un nouveau moi venant de Dieu et qui ne cherche pas son intérêt.

Le remède que Jésus propose pour la condition humaine est le plus grand des paradoxes. Matthieu 16.25 (FC) : 25 « Car l'homme qui veut sauver sa vie la perdra ; mais celui qui perdra sa vie pour moi la retrouvera. » Si vous laissez remplacer votre vieil égoïsme têtu par l'agapè qui ne cherche pas son intérêt, vous trouverez votre vrai moi tel qu'il a été voulu par Dieu. Renoncez à votre propre volonté et vous finirez par recevoir ce que vous avez toujours voulu : la joie profonde que vous avez toujours cherchée mais que vous n'auriez jamais pu atteindre sans l'agapè.

Bouddha ne voyait que la première partie de ce paradoxe. Il reconnaissait les symptômes et la maladie mais pas le remède. L'Occident moderne ne voit même pas la maladie. Au contraire, nous essayons de justifier notre égoïsme et de le rendre respectable. Nous proclamons le droit au bonheur, la réalisation de soi, la confiance en soi, l'estime de soi, la mise en oeuvre de tout notre potentiel. Nous disons : « Pensez d'abord et avant tout à votre intérêt personnel, vous serez vous-mêmes plus heureux et les autres ne s'en porteront que mieux ! »

La société occidentale moderne affirme l'ego et l'égoïsme tous les deux, alors que la tradition orientale nie l'un et l'autre. La prémisse que les deux philosophies, occidentale et orientale, possèdent en commun c'est que l'ego et l'égoïsme vont toujours et nécessairement ensemble. Jésus arrive avec une épée, un bistouri de chirurgien, et d'un coup tranchant sépare l'égoïsme et l'ego, le péché et le pécheur, le cancer et son hôte. Nous devons aimer les pécheurs passionnément comme lui il les a aimés et comme l'Orient ne les aime pas. Mais nous devons haïr le péché passionnément, comme lui il l'a haï et comme l'Occident moderne ne le haït pas. Romains 15.2-3 (TOB) : 2 Que chacun de nous cherche à plaire à son prochain en vue du bien, pour édifier. 3 Le Christ, en effet, n'a pas recherché ce qui lui plaisait mais, comme il est écrit, les insultes de tes insulteurs sont tombées sur moi.

Il ne s'irrite pas

Le verbe grec paroxynô est un mot composé : oxynô = « aiguiser, rendre pointu », ou encore « rendre acide ou aigre » ; et puis le préfixe para = « contre ». Il nous a donné le mot « paroxysme », qui désigne en médecine le point le plus aigu d'une crise. S'irriter, c'est commencer le compte à rebours pour piquer une crise. L'irritabilité est la plate-forme de lancement pour la colère et l'hostilité. Elle a beau ne pas être un péché bien grave, elle nous empoisonne quand même la vie et représente parfois une menace mortelle. C'est donc une bonne nouvelle d'apprendre que l'agapè a le pouvoir de contrôler l'état d'irritabilité dans notre coeur.

Les raisons précises pour lesquelles nous nous irritons contre les autres sont innombrables. Ils froissent notre amour-propre susceptible. Ils nous ignorent quand nous avons besoin qu'on fasse attention à nous. Ils nous rappellent au devoir alors que nous avons envie de nous amuser. Ils ne répondent pas à nos cris de détresse. Ils réussissent mieux que nous alors qu'ils sont moins doués. Ils nous agacent même par leur sollicitude quand nous voulons qu'on nous laisse tranquille. Toutes ces circonstances provoquent notre irritabilité mais n'en sont pas vraiment la cause profonde.

Au fond, nous nous irritons contre les gens parce que nous demandons d'eux plus qu'ils ne peuvent nous donner. Nous nous portons vers nos amis, nos parents, notre conjoint, nos enfants, nos frères chrétiens, dans l'espoir anxieux qu'ils seront capables, une fois que nous nous sommes approchés d'eux, de satisfaire nos désirs les plus profonds. Qu'ils ont en eux la clé de notre bonheur. Nous voulons que nos rapports avec eux tournent autour de l'axe de notre moi en quête de plénitude. Nous demandons des autres ce que Dieu seul peut nous donner, et notre frustration nous rend irritables.

L'agapè a le pouvoir de contrôler notre irritabilité parce qu'elle tourne l'objet de notre désir vers les besoins d'autrui. L'amour ne cherche pas son propre intérêt mais pense à celui des autres. Il ne poursuit pas uniquement son propre bonheur. Par conséquent, il se laisse moins vexer, irriter, agiter par ce qui vient contrarier ce bonheur. J'ai entendu parler d'un médecin qui prenaient avec une parfaite sérénité l'humeur revêche et irascible des malades qu'il soignait. Mais quand ce médecin était lui-même hospitalisé, il s'irritait du moindre indice qu'on ne s'occupait pas de lui comme il fallait.

L'agapè a un excellent antidote contre l'irritabilité. Ca s'appelle la gratitude. Il m'arrive plus souvent que je ne voudrais l'admettre de m'irriter contre mes deux fils. Mon sentiment de frustration paternelle me jette dans les paroxysmes de la colère. Ce n'est pas beau à voir. Vous savez, la moindre pensée que la maladie ou qu'un accident pourrait me séparer de mes fils me remplit de reconnaissance envers Dieu qui m'a fait le don de les avoir dans ma maison. Cela suffit pour apaiser mon irritation et tuer la colère dans l'œuf. L'amour ne s'irrite pas.

Il ne tient pas compte du mal

Le verbe grec logizomai est un terme de comptabilité qui signifie « calculer, compter » et revêt souvent la nuance de « placer sur un compte » ou « inscrire une dette dans un registre ». L'amour ne tient pas un registre du mal qu'on lui fait, il ne remâche pas une offense, il ne prend pas plaisir à en repasser interminablement la vidéocassette dans sa tête, il n'accumule pas les motifs de rancune. Quelqu'un a dit : « Gardez un cimetière de bonne taille dans votre jardin pour y enterrer les fautes de votre prochain. » C'est ce que fait l'amour : il les enterre pour de bon, sans marquer d'une croix l'emplacement de la tombe.

Voilà justement comment Dieu exprime son amour pour nous. Romains 4.8 (FC) : 8 Heureux l'homme à qui le Seigneur ne compte pas [gr. logizomai] son péché. Vous savez ce que ça veut dire ? Ca veut dire que Dieu a non seulement passé l'éponge sur nos péchés, mais il a pris notre ardoise et l'a cassée en mille morceaux. Et maintenant plus personne ne tient des comptes. Dieu nous a tant aimés qu'il ne tient pas un registre de nos péchés.

La rancune est mortelle parce qu'elle prend pour cible non simplement l'offense commise mais la personne qui a commis l'offense. Elle commence à ne regarder toute la personne du prochain qu'à travers la lentille de sa faute et elle ferme les yeux à tout le bien qui est en lui. Elle le bannit aux oubliettes de notre esprit, d'où il ne sortira pas avant d'avoir ressenti lui-même jusqu'à la dernière goutte toute la douleur qu'il nous a infligée.

Seul l'amour peut avoir raison de notre rancune et effacer des tablettes de notre mémoire le mal qu'on nous a fait. Ecoutez : « L'amour chasse le démon d'un tort revécu. Il laisse mourir le passé et nous porte à repartir à zéro. L'amour n'insiste pas pour qu'on règle tous les comptes, qu'on éclaircisse tous les malentendus, qu'on résolve tous les différends, qu'on remette à jour tous les livres. Il ne cherche pas à comparer les souvenirs de chacun pour rétablir exactement comment les choses se sont passées. Il n'insiste pas pour savoir qui a tort et qui a raison, mais aime à faire engloutir les responsabilités respectives dans l'oubli du pardon. Il nous tourne vers un nouveau départ. Lâcher le passé et chercher ici et maintenant la réconciliation est la chose la plus dure qu'on puisse demander d'un être humain. L'amour seul peut nous en rendre capables. » (Lewis B. Smedes, Love within Limits, p. 69).

Il ne se réjouit pas de l'injustice

Il ne trouve aucun plaisir secret dans les mauvaises actions des autres. A première vue, c'est une vertu bien banale que l'apôtre attribue ici à l'amour. Pourquoi relever dans les propriétés de l'agapè un trait si évident ? Se pourrait-il que ce n'est pas si évident que ça ? Se pourrait-il que se réjouir du mal est la règle et non pas l'exception et que seul le pouvoir de l'amour est assez fort pour nous en garder ?

Le fait est que nous sommes bien contents des fautes des autres même si nous ne crions pas « Bravo ! » à chaque péché méchant et sordide. Notre joie s'exprime de manière beaucoup plus subtile. En effet, il nous arrive de déguiser notre joie dans le mal si bien que nous ne la reconnaissons pas nous-mêmes, de peur d'en avoir honte. Nous sommes satisfaits du mal alors que nous nous croyons simplement indignés ou dégoûtés ou écœurés. Nous goûtons chaque occasion de faire éclater notre indignation. Nous trouvons tellement de plaisir dans notre dégoût que cela nous embêterait vraiment d'en être privés. Au moment même où nous prononçons les mots : « Ce genre de chose me dégoûte ! », nous sommes en train de savourer le mauvais goût.

Que ferions-nous dans le monde, que ferions-nous dans l'Église, s'il n'y avait pas de temps en temps un bon petit scandale pour animer les chroniques ? Nous ne réjouissons du mal que trop facilement. Nous avons besoin des péchés et des erreurs des autres pour gonfler notre propre sainteté : « J'ai peut-être mes petits défauts, mais au moins je vaux mieux que celui-là ! Regardez donc ce qu'il a fait ! Ca m'écœure ! »

L'amour est une puissance qui nous rend capables de regarder au-delà des péchés et de voir celui qui en est la première victime : le pécheur lui-même. L'amour sait que le péché est une chose obscène qui dévorera le pécheur comme un cancer et lui infligera mille tourments. Le chasseur de scandales se réjouira peut-être de l'injustice ; l'expert en indignation savourera peut-être chaque occasion de s'indigner contre le péché d'un autre. Celui qui aime ne verra que les meurtrissures que le péché inflige au corps et à l'âme du pécheur, il cherchera à y apporter la guérison.

Galates 6.1-4 (TOB) : 1 Frères, s'il arrive à quelqu'un d'être pris en faute, c'est à vous, les spirituels, de le redresser dans un esprit de douceur ; prends garde à toi : ne peux-tu pas être tenté, toi aussi ? 2 Portez les fardeaux les uns des autres ; accomplissez ainsi la loi du Christ. 3 Car, si quelqu'un se prend pour un personnage, lui qui n'est rien, il est sa propre dupe. 4 Mais que chacun examine son oeuvre à lui ; alors, s'il y trouve un motif de fierté, ce sera par rapport à lui-même et non par comparaison à un autre.

La correction fraternelle est une oeuvre de l'amour, car l'amour ne peut pas tolérer ce qui nuit à celui qu'il aime. Par contre, nous ne sommes jamais plus en danger d'être tentés nous-mêmes qu'au moment de reprendre un frère. Tentés, non pas de commettre la même faute que lui, mais de se réjouir du mal ! Tentés de nous prendre pour quelqu'un parce que nous nous comparons au frère qui a chuté. Voilà une manière de se réjouir du mal tout en le dénonçant. L'amour n'éprouve qu'un seul sentiment face au péché du frère ; l'affliction et la peine. Il ne se réjouit pas de l'injustice.

Mais il trouve sa joie dans la vérité

Le verbe grec sygchairô est composé de la racine chairô = « se réjouir » et du préfixe syn = « avec ». En grec classique, il a le sens de « congratuler, rendre grâces, féliciter ». L'amour s'intéresse aux autres, se plaît à regarder en eux ce qu'ils ont de bien et manifeste extérieurement son approbation. Il cherche le bien, il espère le bien, il applaudit le bien. En ce sens, c'est l'agapè qui fait découvrir la vérité des autres. Et franchement, c'est un vrai plaisir de connaître des gens qui aiment comme ça. Moi, j'aimerais être quelqu'un qui sait apprécier, plutôt que déprécier, la vérité chez les autres.

Cette appréciation ne s'accomplit pas en se faisant des illusions, en vivant dans un monde imaginaire où tout le monde est beau, tout le monde est gentil. La vérité et l'amour vont ensemble, l'amour se réjouit avec la vérité. La vérité rappelle à l'amour que l'ennemi que nous aimons est toujours un ennemi, qu'un pécheur pardonné n'en demeure pas moins un pécheur. Mais l'attachement que la vérité a pour les faits, la réalité, finira, sans l'amour, par déformer cette réalité.

Un fait brut, au sujet d'un péché commis par exemple, a vite fait de devenir un mensonge. Vous connaissez peut-être un frère coupable d'un péché particulièrement grave : sa culpabilité est un fait indiscutable. Mais l'amour connaît la différence entre tomber dans un péché et programmer le péché dans sa vie. La réalité brute de sa faute peut nous rendre aveugles aux qualités qui le rachètent. L'amour se réjouit de la vérité parce qu'il élargit notre champ de vision pour englober toute la personne.

Jésus a reconnu du bien chez Pierre, n'est-ce pas, alors que nous l'aurions probablement largué au bout de deux semaines. Jésus a vu du bien chez une prostituée qui lui lavait les pieds avec ses larmes, alors que le Pharisien ne voyait en elle qu'un sujet de scandale. Jésus a vu du bien chez un samaritain, alors que les juifs ne voyaient dans ce peuple que des apostats et des hérétiques. Jésus a vu du bien chez un membre des forces d'occupation romaine : un païen qui avait une foi telle qu'on ne trouvait pas son pareil en Israël. Jésus se réjouissait du bien qu'il trouvait chez les autres parce qu'il les aimait tant.

A l'enterrement d'un vieux pasteur écossais, un de ses paroissiens disait : « Maintenant il ne reste plus personne dans le village pour applaudir les victoires des gens ordinaires. » L'amour sait reconnaître dans les autres, même les gens les plus ordinaires, ce qu'ils ont de réellement estimable, et il en éprouve une joie sincère.

Au verset 7, la description de l'amour s'achève par quatre affirmations où le mot « tout » est mis en valeur. Ces quatre formules constituent une progression, chaque terme s'ajoutant aux précédents pour nous montrer jusqu'où ira l'amour.

Il excuse tout

Le verbe grec stegô signifie littéralement « couvrir, tenir caché ». On l'utilisait, par exemple, pour désigner l'action de mettre un couvercle sur un récipient. Le substantif stegè signifie « toit, abri » : toujours la notion de couvrir et de protéger. 1 Pierre 4.8 (TOB) : 8 L'amour couvre une multitude de péchés.

Le proverbe latin dit errare humanum est : il est de la nature humaine de commettre des erreurs. Je crois qu'il est encore plus humain de prendre plaisir à divulguer les erreurs des autres. Proverbes 18.8 (Kuen) : 8 Les médisances sont comme des friandises : elles pénètrent jusqu'au tréfonds de l'être. L'amour déteste le scandale et la médisance et le commérage dans la mesure où ces choses accablent inutilement leurs victimes. Tout en reconnaissant la nécessité, dans certains cas, d'exposer publiquement les coupables pour que justice soit faite, l'amour sera plutôt porté à jeter un voile de silence sur les péchés des autres afin de permettre à ceux-ci de guérir à l'abri du regard public. C'est le pouvoir de modérer notre penchant d'en dire trop, trop fort et trop vite.

Avez-vous jamais remarqué combien c'est facile d'excuser les fautes de ceux que nous aimons ? Combien c'est facile de leur trouver des circonstances atténuantes ? Pensez à quelqu'un que vous aimez très fort et supposez qu'il est pris en quelque faute. Quelle serait votre réaction ? « Cela ne lui ressemble pas. Il ne se rendait pas compte de ce qu'il faisait. Il ne pensait pas vraiment ce qu'il disait. » N'est-ce pas ce que Jésus fait face à ses bourreaux ? Luc 23.34 (TOB) : 34 « Père, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu'ils font. » Pensez ensuite à quelqu'un que vous n'aimez pas particulièrement. (Ne pensez pas trop à lui, ça risque de devenir un péché !) Supposons que lui, il commet une faute. Quelle serait cette fois votre réaction ? « Ca ne m'étonne pas de lui ! » Vous voyez la différence ?

L'amour excuse les péchés de ceux qu'il aime. L'amour avertira, oui ; l'amour exhortera et reprendra. Mais il s'efforcera en même temps à épargner le pécheur autant que possible. Il n'exagérera pas sa faute, il ne l'étalera pas en public, il la couvrira. L'amour couvre tout.

Il croit tout

Salomon disait : Proverbes 14.15 (TOB) : 15 Le naïf croit tout ce qu'on dit, mais l'homme prudent avance avec réflexion. Il va sans dire que l'amour ne nous appelle pas à la crédulité. L'agapè ne ferme pas les yeux sur le mal ; au contraire, elle regarde en face la réalité des autres dans toute sa laideur et toute sa cruauté. Elle regarde un menteur et l'appelle un menteur. Elle regarde un dictateur sadique et l'appelle un monstre. L'agapè ne cherche pas à justifier le violeur ou le pillard ou le politicien véreux.

Ce que l'amour fait, c'est de nous porter à croire à la valeur inestimable de chaque personne. Il se peut que la conduite passée de quelqu'un plaide contre cette croyance et suggère même que le monde se porterait mieux si lui n'en faisait plus partie. Et pourtant, l'amour croit. Il croit que le menteur incorrigible a une valeur sans prix, que le dictateur le plus corrompu a une âme capable de conversion, qu'au fond de chaque criminel il y a une personne qu'il vaut la peine de racheter. Cette foi se justifie par une lucidité supérieure, un regard qui ne nie pas le mal commis, mais qui contemple l'avenir à la lumière de la grâce de Dieu.

L'amour excuse les fautes des autres et puis il croit le meilleur à leur sujet. Il ne passe pas sa vie à se méfier de tout le monde. Il se refuse à psychanalyser les paroles et les gestes des autres pour leur trouver des motivations cachées. Si vous devez vous tromper sur le compte de quelqu'un, rendez-vous un service à vous-même : penchez trop du côté de l'amour. Commettez l'erreur de trop lui faire confiance, de croire trop en lui. Comme ça, s'il arrive qu'il vous déçoit, ce ne sera pas dramatique. Vous vous serez trompé du côté de l'amour, et vous ne ressemblerez que plus en cela au Dieu Très-haut. L'amour nous donne le pouvoir de croire plus que ne l'exige l'évidence.

Je connaissais dans l'Église où j'ai grandi en Californie une femme dont le mari n'était pas croyant. Pendant des années, elle disait, alors que les autres n'y croyaient plus depuis longtemps : « Un jour il viendra au Seigneur. » Vous savez quoi ? Je me rends compte maintenant de combien cette femme aimait son mari. Son amour était si fort qu'il a changé son désir en foi.

L'agapè croit tout parce que la foi de Jésus est aussi infinie que son amour. Jésus croit toujours en nous plus que nous croyons en nous-mêmes. Regardez comment Dieu croyait en Job alors que Job ne croyait plus guère en Dieu. Dieu est l'océan de confiance qui nous soutient et qui ne nous laissera pas nous engloutir.

Quelqu'un dira : « Mais que fait l'amour après avoir jeté un manteau de silence sur le péché de son frère et après lui avoir fait confiance et que la situation ne s'améliore pas ? Quand tel alcoolique rompt pour la dixième fois son engagement à ne plus boire ? Quand, après cinq ou dix ans, ce mari demeure tout aussi éloigné que jamais du Seigneur ? Que fait l'amour dans ce cas-là ? »

Il espère tout

Comment cet amour chrétien, qui lie entre eux les membres de la famille de Dieu, peut-il nous faire tout espérer ? Commençons par regarder d'un peu plus près ce qu'est l'espérance.

L'espérance est tout d'abord un désir. Plus fort qu'un simple souhait, ce désir naît d'une insatisfaction paradoxale que nous ressentons vis-à-vis du frère. Le paradoxe, c'est que nous sommes en même temps insatisfaits et contents de lui, tel qu'il est. Nous sommes ravis d'appartenir avec lui à la même famille spirituelle. Nous l'accueillons, l'acceptons, affirmons sa valeur, remercions Dieu pour lui. Nous l'aimons.

Or, c'est précisément notre amour pour lui qui veut son plus grand bien. Nous voulons que ses maux guérissent, que ses problèmes soient résolus, que ses peines soient apaisées. Nous voulons aussi qu'il soit délivré des péchés qui tourmentent sa conscience, des mauvaises habitudes qui nuisent à son bien-être, des défauts de caractère qui empoisonnent ses rapports avec les autres. Notre amour veut voir se réaliser pour lui quelque chose de meilleur que la réalité présente.

Au désir de l'espérance vient s'ajouter une certaine confiance. En espérant, nous nous attendons à ce que la chose désirée se réalise vraiment. Nous croyons, du moins, à la possibilité qu'elle se réalise. Voilà pourquoi l'espérance nous permet d'affronter l'avenir avec de la joie et de la gratitude.

Comment l'agapè peut-elle nous inculquer une telle espérance en faveur des autres ? Elle nous porte à discerner chez eux des possibilités qui restent invisibles à ceux qui n'aiment pas. Quand nous avons connu nous-mêmes l'amour dont Dieu nous aime ; quand il nous fait entrer dans son dessein bienveillant ; quand il efface nos péchés ; quand il nous accueille, avec tout notre passé jonché de défauts et d'échecs personnels ; quand il fait pour nous toutes choses nouvelles et nous ouvre un avenir baigné dans la lumière de son amour ; alors, nous commençons à nous rendre compte que pour lui tout est possible. Notre désir se transforme en espérance.

Mais ne sommes-nous pas simplement en train de nous nourrir d'illusions pieuses ? L'agapè créera-t-elle toujours en nous l'assurance qu'un miracle est sur le point de s'accomplir ? Donnera-t-elle à chaque épouse maltraitée la certitude que son mariage guérira ? Promettra-t-elle à chaque famille brisée la réconciliation ? A chaque chrétien que les défauts de ses frères disparaîtront tous ? Non, l'amour ne pourra jamais nous donner de telles certitudes. Comment alors l'apôtre Paul peut-il dire que l'amour espère tout ?

C'est que l'espérance, sous sa forme la plus profonde, ne vise pas principalement des circonstances particulières. Au fond, elle regarde plus loin que la guérison d'une maladie, la résolution d'un problème, la correction immédiate d'un défaut. Elle cherche, de la part de Dieu, l'assurance que la vie a un sens et une valeur malgré la maladie, les problèmes, les défauts. L'espérance fixe ses yeux sur la promesse de la victoire finale du Christ sur tout ce qui nous avilit et blesse. C'est là l'espérance qui nous donne le courage de nous réjouir d'aujourd'hui et de marcher avec confiance vers demain.

L'amour est la puissance d'un espoir qui peut coexister avec les déceptions. Il continue à espérer sans fixer des dates limites. Le désespoir vient souvent de ce que nous exigeons que le frère réponde à notre attente dans les délais et selon le programme que nous lui imposons. Le point de départ de l'amour divin n'est pas une exigence inconditionnelle que le frère change pour le mieux, mais l'accueil inconditionnel du frère tel qu'il est. À partir de là, l'amour peut tout espérer.

Il endure tout

Le verbe grec hypomenô signifie littéralement « demeurer en-dessous ». A l'origine, c'était un terme militaire qu'on utilisait à propos de soldats qui, par la seule force de leur courage, tenaient ferme au plus fort de la bataille alors que c'était pour les autres un sauve-qui-peut général. L'amour donne le courage de s'exposer aux souffrances et aux déceptions, de tenir bon sous le choc des blessures les plus profondes, de persévérer jusqu'au bout. L'amour mourra en aimant, il mourra en disant : « Père, pardonne-leur ! » L'amour excuse tout. Après avoir tout excusé, il croit tout. Après avoir tout cru, il espère tout. Après avoir tout espéré, il endure tout. Et il n'y a pas d'« après » pour l'endurance, car l'amour endure tout jusqu'au bout.

Notre modèle est Jésus : il a tout enduré par la puissance de l'amour. Par amour pour nous, il est entré dans notre monde de souffrance. Il a porté nos peines, il a supporté nos maux, il s'est laissé dévorer par le mal qui nous dévorait. Il a enduré la souffrance. Ce n'est pas qu'il cherchait à souffrir, ni qu'il attirait l'attention à sa souffrance pour jouir de la pitié du monde. Il n'était pas masochiste. Il a demandé au Père d'éloigner, si possible, la coupe amère. Et quand il fut crucifié il ne sollicitait pas les larmes des autres. En chemin vers la croix, il disait aux femmes pieuses qui se lamentaient sur lui : Luc 23.28 (TOB) : 28 « Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi, mais pleurez sur vous-mêmes et sur vos enfants. »

L'agapè nous entraîne toujours à souffrir. Choisir l'amour c'est, dans un sens, choisir la souffrance. Non pas parce que nous voulons souffrir ou que nous aimons souffrir, mais parce que l'amour nous porte vers la souffrance des autres et nous rend vulnérables, tout comme le Christ était vulnérable. Tant que nous aimons, il est inévitable que nous souffrons avec les autres et pour les autres ; et quand cela arrive, c'est avec le Christ que nous souffrons. Et quand nous souffrons avec le Christ dans la puissance de son amour, nous avons le pouvoir de tout endurer.

Conclusion

C.S. Lewis termine le plus grand sermon que j'ai jamais lu en dehors de la Bible, « Le poids de gloire », en disant : « Après le saint sacrement, votre prochain est le plus sacré que vos sens puissent percevoir. » Car, disait-il, le Christ se cache véritablement dans les deux. Jésus y est peut-être caché à nos yeux, mais l'amour, lui, a une vision à rayons-x :

« C'est une affaire sérieuse que de vivre dans une société d'éventuels dieux et déesses, de se rappeler que la plus ennuyeuse et inintéressante personne à qui vous puissiez avoir à faire peut fort bien être un jour le genre de créature que vous seriez tentés d'adorer, si vous l'aviez maintenant devant vous, ou alors un être à ce point hideux et corrompu que vous pourriez tout au plus le rencontrer dans un cauchemar. Du matin au soir, nous nous aidons l'un l'autre dans une certaine mesure à atteindre l'une ou l'autre de ces destinations. […] Il n'existe pas de gens ordinaires ; vous ne vous adressez jamais à un simple mortel. Les nations, les cultures, les arts, les civilisations sont éphémères : et comparée à la nôtre, leur vie est comme celle d'un moucheron. Mais ce sont des êtres immortels avec qui nous plaisantons, travaillons et nous marions, que nous rabrouons et exploitons : d'immortelles horreurs ou d'éternelles splendeurs. »