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La permanence de l'amour

Pour aller plus loin dans l'amour

© Max Dauner

Entrée en matière

Le poète irlandais William Butler Yeats regardait un jour une petite fille jouer sur une plage en Normandie. Alors que les vagues de la mer emportaient les châteaux de sable que faisait la fille, Yeats a pensé à toutes les grandes civilisations qui en ce lieu avaient été emportées par les vagues du temps. Et il se demandait d'un ton plaintif : « Y a-t-il une seule chose qui dure ? » L'apôtre Paul aborde cette question dans le troisième point de son exposé sur l'agapè, en 1 Corinthiens, aux versets 8 à 13 : la permanence de l'amour.

Qu'avons-nous ici et maintenant qui durera pour toujours ? Ni nos possessions ni le corps avec lequel nous les possédons ne durera. « Nous ne l'emporterons pas au paradis », contrairement à ce que s'imaginaient les Egyptiens anciens qui enterraient les pharaons entourés de richesses matérielles. Les peuples de l'antiquité croyaient les étoiles éternelles. Bouddha, lui, était plus sage. Il enseignait que toute chose qui apparaît est aussi une chose qui disparaît. Il appelait cette vérité universelle « l'œil pur et sans tache de la doctrine ». Mais il y a une chose que Bouddha ne savait pas : il existe une chose qui apparaît sous le soleil et qui ne disparaîtra jamais. Bouddha ne connaissait pas cette réalité de notre vie qui survivra au soleil parce elle vient d'au-delà du soleil : l'agapè, l'amour chrétien.

Vous êtes-vous jamais demandé comment ça se fait que nous ne nous ennuierons jamais au ciel ? La question est bien plus sérieuse qu'elle ne le paraît. L'ennui est la plus grande peur de l'homme moderne. L'homme de l'antiquité craignait la mort, l'homme médiéval craignait l'enfer. Mais ce qui donne à l'homme typiquement moderne des frissons d'angoisse c'est la « vanité des vanités, tout est vanité » : le sentiment de vide intérieur et l'ennui qui l'accompagne. En fait, les langues anciennes n'avaient même pas un mot pour désigner l'ennui philosophique que nous redoutons tant. L'ennui est à la racine de la pulsion largement répandue de détruire toute forme, toute loi, toute limite, tout ordre, toute raison. C'est ce que Freud appelait « la pulsion de mort ».

Personne ne poursuivra avec espoir et passion un but qui lui semble ennuyeux. Or tout ce qui existe ici-bas finit par nous ennuyer. Le philosophe athée Jean-Paul Sartre disait : « Le moment arrive où on dit, même au sujet de Shakespeare, même au sujet de Beethoven : 'C'est tout ce qu'il y a ?' » Comment arriverons-nous à comprendre quelque chose du ciel s'il n'y a sur la terre rien du tout qui nous en donne un avant-goût, rien de céleste, rien qui ne devient jamais ennuyeux ?

La réponse à cette question comporte deux parties. Premièrement, tout ce qui existe sur la terre sauf l'agapè est fait pour devenir ennuyeux. Et deuxièmement, l'agapè n'est pas ennuyeuse.

Dieu a créé toute chose finie pour qu'elle devienne ennuyeuse parce qu'il a mis au centre de notre coeur un vide infini qui ne peut être comblé même pas par l'univers créé tout entier, aussi immense qu'il soit. Il y a dans notre coeur un trou noir semblable aux trous noirs qui existent dans l'espace intergalactique et dont chacun est capable d'engloutir toute la matière de l'univers. Ce trou noir spirituel, c'est le coeur sans repos qui ne trouvera et qui ne pourra trouver du repos qu'en Dieu.

Dieu a fait les choses de la terre pour le temps. Chaque créature a en elle-même une tendance à vieillir, à tomber en désuétude. Chaque puits dans le monde, aussi rafraîchissant qu'il soit, finit par tarir, alors que notre âme a soif de l'eau vivante qui jaillit toujours neuve du trône de Dieu.

Que cela nous plaise ou non, nous sommes nés dans ce monde dotés d'aptitudes en vue d'un dessein prédéterminé, dans le domaine spirituel aussi bien que dans le domaine physique. Nous ne pourrons jamais altérer ni effacer ce dessein. Nous sommes « affligés » de la connaissance de Dieu. Nous avons pour notre malheur la connaissance de la perfection divine et par conséquent nous ne pourrons jamais nous contenter de moins. Même si nous essayons de réprimer cette connaissance, de l'enterrer au fond de notre subconscient, elle finira par rejaillir, fendant sa propre pierre tombale.

Plus nous jetons sur ce monde un regard profond et lucide, plus nous nous approchons de la vérité effrayante du livre de l'Ecclésiaste : « Vanité des vanités, tout est vanité. » Pascal disait : « Qui ne voit pas la vanité du monde est bien vain lui-même. » (164). A moins de rester toujours à la surface de notre coeur, rien qui existe ici-bas sous le soleil ne peut combler notre âme et nous donner la paix.

Mais Dieu peut nous combler et nous donner la paix, et Dieu est agapè et l'agapè existe bel et bien ici-bas sous le soleil. L'agapè est éternelle parce qu'elle est la substance même de Dieu. Voilà pourquoi elle est la seule chose dans la vie qui ne finit jamais par nous ennuyer. Jamais. L'agapè est la seule réponse au livre de l'Ecclésiaste. Ecclésiaste 1.14 (TOB) : 14 J'ai vu toutes les oeuvres qui se font sous le soleil ; mais voici que tout est vanité et poursuite de vent. Il dit : « J'ai tout vu. » Mais il se trompe. Il a raté au moins une chose : l'agapè.

Même les autres amours, sans l'agapè, deviennent à la longue ennuyeuses. L'amour égoïste finit par nous ennuyer parce que si je vous aime simplement pour satisfaire mes propres besoins, alors le moment arrivera où mes besoins seront satisfaits et je commencerai à m'embêter. Ou bien vous n'arriverez pas à me combler et je me sentirai frustré. Ni dans un cas ni dans l'autre je ne peux connaître la paix. L'égocentrisme nous enfermera inévitablement dans ce dilemme : ou bien l'ennui ou bien la frustration. Seule l'agapè peut nous en faire sortir ; seule l'agapè peut nous donner une joie éternelle.

Nous avons tout essayé d'autre, et chacune des milliards d'expériences que nous avons tentées dans la vie a échoué. Et pourtant, notre folie est si incroyable, que nous nous acharnons, dans l'espoir que la prochaine épouse ou le prochain mari ou le prochain boulot ou les prochaines vacances ou le prochain verre ou le prochain cachet nous apportera le bonheur que nous avons toujours cherché. Voilà, au fond, ce qui remplit les tribunaux de justice et les divans des psychiatres. C'est la raison dont on ne parle pas dans les cours de psychologie ou de sociologie.

Nous n'avons jamais trouvé et ne trouverons jamais une chose qui ne finit pas par s'user et nous lasser. Mais nous pouvons donner une chose qui n'aura pas de fin et qui ne nous ennuiera jamais : l'agapè. Le ciel ne sera pas ennuyeux, non pas parce que nous pourrons recevoir pour toujours mais parce que nous pourrons donner pour toujours. Vivre éternellement sans donner l'amour ne serait pas le ciel. Ce serait l'enfer.

J'ai lu il y a quelques années l'histoire d'un homme à qui Dieu permet de visiter l'au-delà. Quand l'homme arrive en enfer, il est tout étonné de voir une immense salle de festin plus richement décorée qu'aucun palais terrestre. Sur chaque table se trouvent en abondance des plats succulents et variés. Seulement, aucun des convives assis autour des tables n'est en train de manger. Ils restent tous là, maussades, l'air exaspéré et, de toute évidence, mourant de faim. Pourquoi donc ne mangent-ils pas ? Son guide lui explique : pour manger, il faut obligatoirement (c'est la règle) se servir d'une cuillère. Le problème, c'est que le manche de la cuillère mesure un mètre. Même si on arrive à remplir le cuilleron au bout, c'est impossible de faire parvenir la nourriture à la bouche. Chacun reste là dans sa propre frustration privée, devant un festin céleste auquel il lui est impossible de goûter.

Quand le visiteur arrive au ciel, il trouve exactement le même scénario, à une exception près. Il y a la même salle de festin, les mêmes plats somptueux, les mêmes cuillères mesurant un mètre. La seule différence, c'est que tout le monde est en train de se régaler et de faire la fête. Comment est-ce possible ? C'est que chaque convive, plutôt que de ne penser qu'à se servir lui-même, utilise sa cuillère d'un mètre pour donner à manger au voisin d'en-face.

L'éternité existe pour l'agapè et pour rien d'autre. Rendez toute autre chose éternelle et vous la gâcherez. Même les amours naturelles. L'affection deviendrait fade. L'éros deviendrait une drogue qui exigerait des doses de perversion de plus en plus grandes pour écarter l'ennui. Même l'amitié trouverait des écueils contre lesquels elle s'échouerait, car si son océan est immense, il a quand même des rivages.

L'apôtre Paul annonce l'unique et absolue exception quand il écrit cinq mots très simples mais si profonds : L'amour ne disparaît jamais. L'amour-éros disparaîtra, mais pas l'amour-agapè. « Je t'aimerai pour toujours » veut dire, en réalité, « pendant deux ou trois mois ». Des milliards de promesses, mais seules celles de l'agapè ne sont pas brisées. Comme disait C.S. Lewis, éros fait des promesses, agapè les tient.

L'amour et les autres dons de Dieu

Abordons donc notre texte : 1 Corinthiens 13.8-13. L'apôtre commence par opposer l'agapè à d'autres dons que les Corinthiens avaient reçus de Dieu. 1 Corinthiens 13.8 (TOB) : 8 L'amour ne disparaît jamais. Le verbe grec traduit « disparaître », piptô, s'emploie dans la Bible d'une personne, d'un animal ou d'une chose qui tombe à terre et s'écroule. Au sens figuré, il désigne des réalités religieuses qui passent, qui ne survivent pas aux choses qui gardent leur valeur. Luc 16.17 (BC) : 17 « Il est plus facile pour le ciel et la terre de passer que pour un seul trait de lettre de la loi de tomber [gr. piptô]. » L'agapè ne tombe jamais. Elle est la seule réalité temporelle qui passera inchangée dans le monde de l'éternité. Tout le reste de ce passage, jusqu'au verset 12, n'est qu'un commentaire sur cette affirmation : l'amour ne tombe jamais.

Alors que l'amour occupe une place perpétuelle dans le dessein de Dieu, les dons spirituels sont une réalité passagère. Lui est permanent, eux sont provisoires. 1 Corinthiens 13.8 (TOB) : 8 Les prophéties ? Elles seront abolies. Les langues ? Elles prendront fin. La connaissance ? Elle sera abolie. Je crois que Paul nomme ces trois dons particuliers : la prophétie, le parler en langues et la connaissance (non pas la connaissance acquise par l'étude mais donnée « surnaturellement » par l'Esprit) : pour représenter tous les dons miraculeux en général. Ces charismes, quel que soit le rôle important qu'ils ont joué dans la confirmation de l'Évangile, n'ont jamais été faits pour durer. Ils ne constituent qu'un élément ponctuel de l'ordre des choses divin, ils finiront tous par s'éteindre. L'amour, par contre, n'aura pas de fin.

Il paraît que les fidèles de Corinthe qui avaient reçu ces dons de Dieu se prenaient pour des personnages dans l'Église. Le premier type venu, se disaient-ils, peut aimer ; c'est à la portée de n'importe qui. Par contre, il faut avoir quelque chose de spécial pour parler en langues ou prophétiser. Paul savait bien le contraire. Un simple fidèle « ordinaire » qui est animé par l'agapè est d'une tout autre classe. Comparée à l'agapè, les dons miraculeux qui mettent une personne en vedette sont de deuxième catégorie. Le don de l'amour est toujours absolu ; les autres devaient de toute façon tomber en désuétude.

Deuxième contraste entre l'amour et les dons : la connaissance obtenue par le moyen des dons miraculeux est partielle, alors que la connaissance obtenue comme fruit de l'amour est parfaite. 1 Corinthiens 13.9 (TOB) : 9 Car notre connaissance est limitée et limitée notre prophétie. C'était par l'intermédiaire des dons miraculeux que Dieu communiquait sa volonté aux chrétiens du premier siècle. Avant que la rédaction du Nouveau Testament ne soit achevée, ces dons apportaient aux saints les connaissances religieuses nécessaires pour suivre le Seigneur et vivre dans la piété.

En quoi ces connaissances charismatiques sont-elles limitées ? Elles sont partielles, incomplètes parce que les fidèles les recherchent, les possèdent, les exercent sans l'amour ! 1 Corinthiens 1.5 (FC) : 5 En effet, dans l'union avec le Christ, vous avez été enrichis de tous les dons, en particulier de tous les dons de la parole et de la connaissance. Mais cette connaissance demeurait imparfaite chez eux parce qu'ils ne la mettaient pas au service de l'amour. 1 Corinthiens 8.1-2 (TOB) : 1 La connaissance enfle, mais l'amour édifie. 2 Si quelqu'un s'imagine connaître quelque chose, il ne connaît pas encore comme il faudrait connaître.

1 Corinthiens 13.10 (TOB) : 10 Mais quand viendra la perfection, ce qui est limité sera aboli. L'expression « ce qui est limité » désigne leur connaissance sans amour et donc imparfaite de Dieu et de sa volonté. La « perfection » (gr. to teleion, ce qui est parfait), c'est la connaissance obtenue comme fruit de l'amour. Grâce à la pratique de l'agapè les uns pour les autres, les Corinthiens parviendront à l'état adulte de la vie chrétienne, état caractérisé par une connaissance consommée, achevée, « parfaite » de Dieu. La perfection divine de l'agapè sonne le glas de l'imparfait. Une fois que le bébé est né, le placenta devient inutile. Il est expulsé et meurt.

De nos jours, nous disposons du Nouveau Testament, qui nous transmet sous forme écrite l'enseignement des apôtres : tout ce qui est nécessaire à la vie et à la piété (2 Pierre 1.3, TOB). Aucun de nous n'a encore fait sienne la totalité de cette révélation. Mais supposons que nous parvenons à tout connaître du Nouveau Testament : non seulement à tout apprendre par coeur, mais à tout assimiler, à tout maîtriser. Connaîtrions-nous Dieu pour autant ? Oui… d'une manière partielle. La pleine connaissance de Dieu ne va que chez l'homme qui aime de l'amour divin et qui parvient ainsi à la maturité spirituelle. Il n'est pas rare de rencontrer des gens qui savent répondre aux arguments des incroyants, prodiguer de bons conseils dans le domaine moral, expliquer le sens d'un tas de textes bibliques, mais qui, faute d'amour, restent des petits enfants dans le Christ.

1 Corinthiens 13.11 (TOB) : 11 Lorsque j'étais enfant, je parlais comme un enfant, je pensais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant. Devenu homme, j'ai mis fin à ce qui était propre à l'enfant. Paul parle de lui-même, enfant devenu homme, pour suggérer que les Corinthiens seront toujours des enfants dans la connaissance tant qu'ils ne seront pas immergés dans les perfections de l'amour. Il leur dit : « Tant que vous dépendez, pour connaître Dieu, uniquement des données obtenues par le moyen des dons miraculeux, vous resterez des enfants. Vous n'aurez qu'une connaissance enfantine, et c'est à partir de cette connaissance enfantine que vous parlerez et raisonnerez. Si, par contre, vous suivez la voie de l'amour, vous atteindrez l'âge adulte. Vous pourrez vous appeler des hommes 'parfaits' ».

1 Corinthiens 13.12 (TOB) : 12 A présent, nous voyons dans un miroir et de façon confuse, mais alors, ce sera face à face. Les miroirs anciens, faits de métal poli, n'offraient pas une image très nette de la personne qui s'y reflétait. Mais ce n'est pas là la pointe de cette métaphore. Dans la littérature grecque et juive, le miroir était conçu comme le symbole de la vision indirecte. Dans un miroir, on ne voit pas la réalité elle-même, on ne voit que son image, son reflet. Paul dit : « À présent, c'est-à-dire dans la triste condition présente de l'Église de Corinthe où l'amour est si tragiquement absent, vos révélations prophétiques vous permettent de percevoir, au moins indirectement, quelque chose des réalités divines. A travers vos dons miraculeux, vous pouvez atteindre une certaine connaissance indirecte de Dieu. »

Mais cette vision indirecte dans un miroir est un moyen de connaissance très limité. L'expression grecque traduite « de façon confuse », en ainigma, signifie littéralement « en énigmes ». Elle a été suggérée à Paul par Nombres 12.6-8 (TOB) : 6 « Ecoutez donc mes paroles : S'il y a parmi vous un prophète, c'est par une vision que moi, le Seigneur, je me fais connaître à lui, c'est dans un songe que je lui parle. 7 Il n'en va pas de même pour mon serviteur Moïse, lui qui est mon homme de confiance pour toute ma maison : 8 je lui parle de vive voix : en me faisant voir : et non en langage caché ; il voit la forme du Seigneur. » Vous voyez la différence ? Un prophète ordinaire ne voit Dieu qu'en songe, en vision, « en énigmes » : c'est-à-dire indirectement. A Moïse, par contre, au serviteur privilégié, Dieu parle directement, « bouche à bouche ». Moïse voit une manifestation visible de la personne même de Dieu.

En aimant, nous voyons Dieu directement, face à face. L'amour est la voie parfaite, celle qui, par conséquent, aboutit : celui qui aime connaîtra Dieu. Là est la différence la plus profonde entre l'agapè et les autres dons de Dieu. Nous avons parfois bien du mal à admettre ce que Paul nous dit ici : que tout ce que nous faisons et tout ce que nous disons dans notre vie religieuse est un jeu de gosses, du babillage enfantin, comparé à la perfection de l'amour.

1 Corinthiens 13.12 (TOB) : 12 A présent, ma connaissance est limitée, alors, je connaîtrai comme je suis connu. Nous arriverons enfin à connaître Dieu de la même façon que Dieu nous connaît depuis toujours.

Mais quand cela ? A quel moment nos yeux seront-ils ouverts, nos esprits libérés, pour voir Dieu face à face et le vraiment connaître enfin comme il nous connaît ? Nous ne parviendrons pas à cette connaissance par une formation théologique ou des disciplines spirituelles. Nous y parviendrons en nous laissant saisir par l'amour : quand nous apprenons que nous sommes, en vérité, aimés par Dieu, de l'amour rendu visible dans la croix du Christ ; quand nous acceptons cet amour ; quand nous nous laissons diriger par lui. Nous saurons alors que « ce qui est parfait » est venu jusqu'à nous. 1 Jean 4.7-8 (TOB) : 7 Mes bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, car l'amour vient de Dieu, et quiconque aime est né de Dieu et parvient à la connaissance de Dieu. 8 Qui n'aime pas n'a pas découvert Dieu, puisque Dieu est amour.

L'amour et les deux autres valeurs suprêmes

Cela nous amène à la conclusion de cet hymne à l'amour : l'agapè et les deux autres valeurs permanentes de la vie chrétienne. Dans son livre Critique de la raison pure, le philosophe allemand Emmanuel Kant disait que les questions les plus importantes que peut poser l'esprit humain sont au nombre de trois : Que puis-je savoir ? Que dois-je faire ? Que puis-je espérer ? A ces trois questions correspondent les trois « vertus théologales » énumérées dans 1 Corinthiens 13.13 (TOB) : 13 Maintenant donc ces trois-là demeurent, la foi, l'espérance et l'amour. La foi dans la parole de Dieu est la réponse chrétienne à la question : « Que puis-je savoir ? ». L'agapè, l'amour de Dieu et du prochain, est la réponse chrétienne à la question : « Que dois-je faire ? ». La promesse de la vie éternelle est la réponse chrétienne à la question : « Que puis-je espérer ? »

L'agapè est liée organiquement à la foi et l'espérance. Elles forment ensemble une plante unique ; la foi en est la racine ; l'espérance, la tige ; l'amour, le fruit. Cette plante est la grâce, la vie de Dieu en nous. Nous accueillons ce don par la foi, comme l'eau est tirée du sol par les racines d'un arbre. La grâce s'élève en nous par l'espérance, comme la sève monte dans le tronc. Et elle mûrit en nous par l'amour, tout comme le fruit mûrit sur les branches pour être cueilli par notre prochain.

Ou bien, pour changer d'image, notre vie en Dieu est comme un bateau. La foi correspond au compas qui, avec la carte marine (la parole de Dieu), nous permet de nous repérer et de nous diriger. L'espérance est comme l'ancre de notre âme, ancre jetée non pas dans les profondeurs de la mer mais fixée dans les hauteurs du ciel. Solide et bien accrochée, cette ancre empêche notre bateau d'aller à la dérive par rapport à notre destination finale. L'agapè est comme la voile tendue pour recevoir la puissance du vent. Elle nous fait avancer à travers les flots. Voilà pourquoi elle doit être large, ouverte et généreuse.

Ces trois grandes vertus, dit Paul, sont d'un ordre différent, supérieur à l'activité transitoire et ponctuelle des dons miraculeux ; elles constituent les valeurs permanentes de la vie chrétienne. Quand les divers dons miraculeux auront tous cessé dans l'Église, la foi sera encore là. Quand les charismes surnaturels auront tous disparu, l'espérance sera encore là. Quand les prodiges spectaculaires auront tous fini par s'éteindre, l'amour sera encore là. Ces trois-là demeurent : la foi, l'espérance, l'amour.

1 Corinthiens 13.13 (TOB) : 13 Mais l'amour est le plus grand. La reine de toutes les vertus. Savez-vous pourquoi Paul dit que l'amour est le plus grand des trois ? Moi, je n'en suis pas sûr. Peut-être parce que l'amour reflète l'essence même de Dieu. Peut-être parce que l'amour nous donne la connaissance parfaite de Dieu. Finalement, si l'amour est au-dessus de tout, peu importe la « raison », car c'est le Christ Jésus lui-même qui nous le dit. Matthieu 22.36-39 (TOB) : 36 « Maître, quel est le grand commandement dans la Loi ? » 37 Jésus lui déclara : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de toute ta pensée. 38 C'est là le grand, le premier commandement. 39 Un second est aussi important : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Commandement numéro 1, selon Jésus Christ le Fils de Dieu : aimer. Commandement numéro 2 : aimer.

Conclusion

Ce n'est pas grâce à une observation suivie de la société humaine que l'apôtre Paul a pu composer cet hymne à l'amour. Son portrait de l'agapè n'est pas tiré des croquis qu'il a faits des gens qu'il avait rencontrés. C'est l'amour de Dieu, l'amour que Dieu a manifesté pour nous qui lui a servi de modèle.

Cela veut dire que c'est par la foi que nous aurons accès au pouvoir que nous promet l'agapè, qu'il faut commencer par croire à l'amour chanté dans ce chapitre. Il n'y a, dans les nouvelles quotidiennes rapportées par les média, aucune preuve certaine que l'agapè est plus forte que le mal. La Régie Renault n'a pas divulgué le secret que c'est l'agapè la clé de sa grandeur industrielle. Nous n'avons pas découvert personnellement : ni par introspection, ni par psychanalyse : que l'agapè est la force qui domine tous nos autres appétits et désirs. Reconnaître le pouvoir suprême de l'amour exige un acte de foi. Et il en faut beaucoup, de foi !

Il n'y a qu'une seule chose qui peut nous donner une foi comme ça : l'amour de Dieu lui-même. Le pouvoir de l'amour est libéré en nous quand nous croyons en l'amour de Dieu et quand nous acceptons d'être aimés de lui. Cela nous ramène aux fondements de l'évangile : la foi dans l'amour ne vient qu'au bout d'un pèlerinage à la croix de Jésus Christ, là où l'amour de Dieu s'est fait connaître dans tout son éclat.

Saint Augustin disait que tout mal vient d'un amour désordonné, car c'est l'amour qui me fait faire ce que je fais. « L'amour, l'amour, fait tourner le monde » disait une chanson de ma jeunesse. On ne savait pas si bien dire. Je vais là ou l'amour me pousse à aller. Voilà pourquoi chaque être humain ou bien s'approche de Dieu et du ciel, ou bien s'éloigne de Dieu en direction de l'enfer. C'est à cause de l'amour que nous sommes tous membres soit de la cité de Dieu, soit de la cité du monde. Augustin écrivait dans La cité de Dieu : « Deux cités ont été construites par deux amours : la cité terrestre par l'amour de soi, même jusqu'au mépris de Dieu ; la cité céleste par l'amour de Dieu, même jusqu'au mépris de soi. Le premier amour, en un mot, se glorifie en lui-même ; le dernier, dans le Seigneur (XIV, 28). »

Mon identité et ma destinée sont déterminées par mon amour. Car ce que j'aime devient mon but ; et mon but, poursuivi jusqu'au bout, devient ma destinée. L'histoire de ma vie est le drame de deux amours. Qui dois-je épouser ? Dieu, mon vrai bien-aimé ? Ou bien quelque idole, ce qui revient à dire, en dernière analyse, moi-même ? Voilà le choix fondamental et incontournable de chaque être humain. Voilà ce qui détermine le ciel ou l'enfer. Ne pas choisir l'amour de Dieu serait la plus grande, la seule vraie tragédie de toute la vie.