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La prééminence de l'amour

La seule chose sans laquelle on ne peut pas vivre

© Max Dauner

Entrée en matière

1 Jean 4.7-8,16 (TOB) : 7 Mes bien-aimés, aimons-nous les uns les autres, car l'amour vient de Dieu, et quiconque aime est né de Dieu et parvient à la connaissance de Dieu. 8 Qui n'aime pas n'a pas découvert Dieu, puisque Dieu est amour. […] 16 Et nous, nous connaissons, pour y avoir cru, l'amour que Dieu manifeste au milieu de nous. Dieu est amour : qui demeure dans l'amour demeure en Dieu et Dieu demeure en lui.

Dans son commentaire sur l'Epître aux Galates, saint Jérôme raconte une vieille tradition sur l'apôtre Jean. Très âgé, Jean avait l'habitude de redire à chaque réunion de l'Eglise : « Mes petits enfants, aimez-vous les uns les autres. » Les frères finissent par se lasser de l'entendre toujours répéter les mêmes paroles et lui demandent : « Pourquoi dis-tu toujours cela ? » Et le vieil apôtre de répondre : « Parce que c'est le commandement du Seigneur, et s'il est seul observé, cela suffit. » Jean avait raison.

Je ne suis pas particulièrement qualifié pour vous parler de l'amour, parce que je suis de l'amour un modèle plutôt médiocre. Je mets assez mal en pratique l'amour que je prêche. Pourquoi alors voudriez-vous venir m'écouter parler de l'amour ? Ma seule réponse, c'est qu'on peut très bien reconnaître et poursuivre les valeurs les plus élevées même si on n'arrive pas à en être à la hauteur. Un grand saint connaît les sommets de l'amour pour y avoir séjourné longtemps lui-même. Le pèlerin, lui, bien qu'il n'en soit pas encore là, peut au moins discerner de loin ces sommets et apprécier leur grandeur. Et il peut héler d'autres pèlerins et leur en parler sur le chemin. Toujours est-il que pour comprendre l'amour, il en faut une certaine expérience pratique. L'amour n'est pas comme un sujet qu'on étudierait à l'école. Pour le connaître, il faut avoir accepté de se laisser aimer par Dieu et il faut avoir accepté d'aimer à son tour.

L'importance de définir le mot « amour »

Auguste Blanqui disait avec raison, dans son livre Critique sociale : « Définir, c'est savoir. Aussi la définition juste est-elle la plus rare des denrées. » Une définition juste de l'amour est d'autant plus précieuse que l'amour est au centre de tout : c'est la vérité suprême, la valeur suprême, le bien suprême. Si nous allons mettre tous nos œufs dans le panier de l'amour, il nous importe beaucoup de déterminer si c'est le bon panier ; il nous importe de ne pas se tromper d'amour.

Se faire des idées fausses sur ce qu'est vraiment l'amour, c'est aller au-devant des pires désastres de la vie. Des foyers brisés, des coeurs brisés, des sociétés brisées, notre monde brisé : tout cela est le résultat de définitions faussées de l'amour. Le résultat de s'être trompé sur quel ciment employer pour souder toutes les relations précieuses mais fragiles de la vie. Une définition juste à elle seule ne suffira pas, bien entendu, à tout réparer. Par contre, si on part d'une définition qui n'est pas juste, on n'aura aucun espoir d'y arriver. Un pharmacien a besoin de plus que des étiquettes justes ; mais si ses étiquettes sont tout mélangées, ses clients ont peu de chances pour recevoir les médicaments qu'il leur faut.

Malheureusement, le marché de l'amour regorge de toutes sortes de contrefaçons : de faux amours, de fausses conceptions de l'amour, de fausses promesses concernant l'amour. Cela est normal. Plus une chose a de valeur, plus on en trouve des contrefaçons. Personne ne fait le trafic de fausses attaches parisiennes ! Par contre, des fausses religions, des faux amours, des faux dieux, il y en a plein.

Revenir aux définitions grecques de l'amour

Alors que nous n'avons en français qu'un seul mot pour désigner l'amour, le grec antique ne disposait de pas moins de quatre termes différents pour en exprimer les nuances différentes.

Le substantif grec traduit « amour » dans le Nouveau Testament – agapè – n'est guère attesté dans le grec profane avant le premier siècle de notre ère. Il semblerait que les auteurs inspirés du texte sacré ont sorti ce terme du placard des mots tombés en désuétude pour désigner l'amour divin que le Christ avait fait connaître au monde. Un amour différent des trois autres pour lesquels la langue grecque avait déjà des noms consacrés par l'usage. Un amour distinctement chrétien. Jean 13.35 (TOB) : 35 « À ceci tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à l'amour [agapè] que vous aurez les uns pour les autres. » Un amour si différent des autres que même les non-croyants sauront le reconnaître. Un amour qui fera s'écrier les païens cyniques et endurcis du monde romain : « Voyez comme ils s'aiment les uns les autres ! » Un amour qui est aussi essentiel pour identifier les chrétiens que la saine doctrine.

Quel genre d'amour est donc l'agapè du Nouveau Testament ? Ce n'est pas l'éros : l'amour de la passion irraisonnée, du désir (surtout le désir sexuel) et des appétits physiques. « J'aime la glace au gingembre. » Même quand ce désir n'est pas d'ordre sexuel ou physique, il est toujours égocentrique et possessif. La passion qu'un artiste a pour son art n'est pas aussi grossièrement égoïste que la convoitise sexuelle ou la cupidité, c'est quand même un amour « érotique », une émotion que l'artiste subit et qui risque de l'emporter. L'agapè est plutôt un choix, elle relève d'un acte libre de notre volonté.

L'amour chrétien n'est pas non plus la storgè : l'affection ou la tendresse que nous éprouvons spontanément à l'égard de quelqu'un, surtout des membres de notre propre famille. C'est la sympathie instinctive que nous ressentons pour le petit bébé tout mignon qui, dans sa poussette, nous sourit en passant. L'agapè est plus profonde qu'un simple attachement sentimental à quelqu'un qui nous inspire de la sympathie ou de la tendresse. C'est un amour qui est plus large et plus costaud.

Finalement, l'amour du Nouveau Testament n'est pas à confondre avec la philia : l'amour de l'amitié. Au sens stricte, l'amitié exige la réciprocité. On dit bien, n'est-ce pas : « une paire d'amis ». L'agapè, par contre, unit Dieu et les hommes rebellés contre lui ; même entre hommes, elle s'étend aux ennemis. Jésus a aimé ceux qui l'ont crucifié et a demandé à son Père de les pardonner. C'est l'amour, ça, et non pas l'amitié. Et puis l'amitié est sélective, elle ne se noue qu'au sein d'un groupe de personnes très restreint. Personne ne peut être l'ami de tout le monde. L'agapè, par contre, s'étend à tous, à chacun en particulier, au « prochain ».

Dans son oeuvre monumentale en trois volumes, L'agapè dans le Nouveau Testament, l'exégète dominicain Ceslas Spicq montre que dans le grec biblique et profane, le verbe agapaô signifiait : « apprécier, faire grand cas de, tenir en haute estime ». L'agapè est un amour d'estime, elle est le don d'une pensée favorable et bienveillante. Il ne s'agit pas de penser du bien artificiellement des autres en fermant les yeux ou en s'aveuglant volontairement. On ne peut pas, dans une bonne intention, ni mentir aux autres, ni se mentir à soi-même. L'agapè demande qu'on reconnaisse dans les autres une valeur réelle, qu'on sache discerner dans les autres la vérité de leur personne, vérité qui impose non seulement le respect mais une appréciation favorable, élogieuse.

Quatre malentendus au sujet de l'amour

Après avoir mis l'agapè en contraste avec les trois autres amours de la langue grecque, il faut l'opposer à certaines idées qu'on se fait couramment aujourd'hui sur l'amour. Des malentendus. Je vais en mentionner quatre.

1. L'amour chrétien est plus qu'un sentiment.

On s'imagine, premièrement, que l'amour doit toujours être un sentiment. Par conséquent, s'imagine-t-on, si l'agapè n'est pas un sentiment, ce n'est pas vraiment l'amour. On nous soupçonne de vouloir dévaloriser les sentiments en disant que l'agapè est plus qu'un sentiment.

Les sentiments sont un état d'esprit qui nous tombe dessus ; l'agapè est quelque chose qui procède de nous. Les sentiments sont passifs et réceptifs ; l'agapè est active et créative. Les sentiments relèvent de l'instinct, l'agapè relève de la volonté. Nous ne sommes pas, dans un sens, responsables de nos sentiments ; nous les subissons, en quelque sorte, malgré nous. Par contre, nous sommes bien responsables de la présence ou du manque d'agapè dans notre vie.

Les sentiments ne se commandent pas ; on ne peut pas les faire naître à volonté. Tout le monde sait cela. Or, Dieu nous commande d'aimer, et Dieu n'est pas un imbécile. Jésus a éprouvé de nombreux sentiments différents envers de nombreuses personnes différentes : Pierre, Jean, sa propre mère, Judas, Pilate, les Pharisiens. Mais il les a tous aimés.

Comment est-il possible d'aimer sans ressentir quelque chose ? Comment est-il possible d'aimer quelqu'un qui ne vous plaît pas ? Facile. Nous le faisons tout le temps… à nous-mêmes. Nous n'éprouvons pas toujours envers nous-mêmes un sentiment d'affection tendre. Il nous arrive de nous sentir bêtes, stupides, méchants. Cela ne nous empêche pas de faire grand cas de nous-mêmes et de chercher notre propre bien. Si nous nous déprécions nous-mêmes, c'est justement parce que nous nous aimons nous-mêmes et que nous tenons à notre estime de soi et que nous sommes déçus du mal qui est en nous.

Dieu est agapè, et l'agapè n'est pas un simple sentiment. Cela ne fait pas de Dieu quelqu'un de froid et de distant, quelqu'un de moins passionné et de moins généreux. Au contraire. Dieu est l'amour même, alors que les sentiments ne sont que les miettes qui tombent de temps en temps de la table de l'amour. Dieu ne peut pas « tomber amoureux », non pas parce qu'il y a en lui moins d'amour qu'en nous, mais plus. Dieu est amour, et l'amour ne peut pas se contenter, comme le peut un sentiment, de rester passif ; il lui est essentiel de se manifester en actes.

Un des personnages du livre de Dostoïevski, Les frères Karamazov, dit : « L'amour en action est une chose sévère et terrible comparée à l'amour en rêve. » Les sentiments sont comme des rêves : amusants, faciles, passifs, inconsistants. L'agapè est comme un diamant : elle est bien plus dure mais elle est bien plus précieuse.

2. L'amour n'est pas simplement la compassion.

On méconnaît l'amour, deuxièmement, en le confondant avec la compassion. L'amour est compatissant, c'est là un de ses attributs caractéristiques. Mais ce n'est pas là l'essence de l'amour. La compassion est le désir de soulager ou de prévenir les souffrances d'un autre. L'amour cherche le plus grand bien de l'autre. Les deux sont désintéressés, mais l'amour vise plus haut et plus loin.

Il ne nous est que trop péniblement évident que Dieu est amour et non pas la simple compassion, du fait qu'il ne soulage pas instantanément toutes nos souffrances alors qu'il possède le pouvoir de le faire. Vous savez, Dieu est capable de supprimer tout mal -– naturel, humain, démoniaque – comme on écraserait une mouche. Voilà justement le premier des arguments cités par les incroyants pour écarter la notion d'un Dieu d'amour : Dieu est tout-puissant, il pourrait en un instant effacer miraculeusement toutes les souffrances du monde, mais il choisit délibérément de ne pas le faire. La « preuve » numéro 1 de l'athéisme vient, en partie, de ce qu'on confond amour et compassion.

Plus nous aimons quelqu'un, plus notre amour dépasse la simple compassion. Nous avons de la compassion, sans plus, pour nos animaux domestiques. C'est pourquoi nous acceptons sans hésiter de les faire endormir quand ils souffrent beaucoup. Nous n'accepterions guère une telle solution pour un membre de la famille ! Nous avons peut-être de la compassion pour des inconnus, mais nous sommes plus exigeants envers ceux que nous aimons. Si un inconnu vous disait qu'il se droguait, vous essaieriez sans doute de le raisonner calmement, avec compassion et gentillesse, un peu comme un professionnel de l'assistance publique. Si votre fils ou votre fille vous disait cela, vous ne vous comporteriez plus du tout en professionnel, vous vous comporteriez en amateur. Le mot « amateur » vient du latin amator : « celui qui aime ». Il n'arrive pas souvent aux professionnels de crier, de supplier, de pleurer, de serrer dans les bras. Aux amateurs, si. C'est le prix de leur amour. Un amour exigeant.

La compassion ressemble aux grand-pères, l'amour aux pères. Les grands-pères disent aux petits : « Allez, amusez-vous bien. » Les pères disent : « Mais ne faites pas ceci, ne faites pas cela. » La Bible n'appelle jamais Dieu « notre Grand-père qui est aux cieux », quoique nous semblions parfois vouloir préférer un Grand-père indulgent à l'amour intime et exigeant d'un Père.

3. Dieu est amour, mais l'amour n'est pas Dieu.

Un troisième malentendu confond deux propositions différentes : « Dieu est amour » et « l'amour est Dieu ». Cette confusion prend un amour que nous connaissons déjà – l'amour humain – pour en faire une idole.

Je m'explique par une petite leçon de logique. « A est B » ne signifie pas la même chose que « A égale B », car « A égale B » est réversible alors que « A est B » n'est pas réversible. Si A = B, il s'ensuit que B = A. Mais si A est B, il ne s'ensuit pas nécessairement que B est A. Exemple : « Le Concorde est la vitesse même. » Cette proposition ne nous permet pas d'en conclure : « La vitesse est un Concorde ». « Un ange est un esprit » ne nous permet pas d'en conclure qu'un esprit est nécessairement un ange.

Quand nous disons « A est B », nous commençons par un sujet A que notre auditeur connaît déjà. Et puis nous y ajoutons un prédicat, un complément B : quelque chose que notre interlocuteur ne connaît pas encore. « Maman est malade » veut dire : « Tu connais Maman. Eh bien, laisse-moi te raconter sur elle quelque chose que tu ne savais pas : elle est malade ».

Ainsi, « Dieu est amour » veut dire : « Laissez-moi vous dire quelque chose de nouveau sur le Dieu que vous connaissez déjà. Un de ses attributs essentiels est l'amour. Il est amour de part en part. » Par contre, la proposition « l'amour est Dieu » veut dire : « Laissez-moi vous dire quelque chose au sujet de l'amour que vous connaissez déjà (votre propre amour humain) : cet amour est Dieu. Ne cherchez pas plus loin la réalité ultime. » En d'autres termes, « Dieu est amour » est une des révélations les plus profondes jamais accordées aux hommes, alors que « l’amour est Dieu » est une forme d'idolâtrie.

4. Ne pas être amoureux de l'amour.

Un quatrième malentendu : on peut être amoureux de l'amour. Non, on ne peut pas. Pas plus qu'on peut croire en la foi ou espérer dans l'espérance. L'amour est un acte, une force, une énergie. Une Personne, celle qui aime ou qui est aimée, est beaucoup plus. Une Personne est la chose la plus réelle et la plus précieuse qui soit, car elle est faite à l'image de Dieu, lui qui est la réalité ultime. En fait, le nom principal de Dieu dans la Bible – « JE SUIS » – est le nom d'une Personne.

Etre amoureux de l'amour n'est pas l’agapè, c'est un simple sentiment. On peut ressentir quelque chose pour un sentiment. On peut désirer qu'un état sentimental dure dans le temps. Mais l'objet de l’agapè n'est pas l'agapè elle-même, c'est une personne.

Le vieux mot français qu'on utilisait autrefois pour désigner cet amour c'est le mot « charité ». Malheureusement, on ne peut plus se servir de ce mot. Pour la plupart des gens de notre époque, la « charité » ne consiste qu'à donner de l'argent à des mendiants ou au Secours catholique. Et même quand il ne s'agit pas de donner de l'argent, il y a une nuance de condescendance artificielle. Ca laisse un mauvais goût à la bouche. Personne ne trouve du plaisir à être obligé de dépendre de la charité d'un autre. Le mot agapè n'a pas cette nuance désagréable. L'agapè se plaît à donner, oui, mais son don honore son bénéficiaire plutôt que de l'humilier.

Le mot « charité » ne conviendra donc plus, pas plus que le simple mot « amour », auquel s'attachent trop de malentendus. D'où la nécessité d'insister sur le mot grec agapè, même au risque d'avoir l'air un peu doctoral.

1 Corinthiens 13 : Hymne à l'amour

De notre tentative de définir l’agapè, passons maintenant à ce qu'en disent les Ecritures. Nous allons jouer aux exégètes bibliques et faire un voyage d'exploration dans le plus grand essai jamais rédigé au sujet de l'amour chrétien : 1 Corinthiens 13. Ce célèbre hymne à l'amour est placé entre les chapitres 12 et 14 de l'épître, un peu comme une tranche de viande dans un sandwich. On connaît bien la viande ; on connaît beaucoup moins le pain, c'est-à-dire le contexte qui l'entoure.

Ces deux chapitres ont trait à une question précise qui troublait l'Eglise de Corinthe : l'exercice des dons charismatiques, et en particulier le don de parler en langues, dans l'assemblée dominicale. L'apôtre Paul a envers les dons spirituels une attitude bien équilibrée. Il reconnaît leur authenticité, leur origine surnaturelle et leur valeur. Il dit même qu'il parle en langues plus que tout le monde. Par contre, il insiste que l'exercice des dons doit être réglé par le bon sens, par le souci de l'ordre et de l'unité dans l'Eglise et, avant tout, par l'amour.

Une question bien ponctuelle fournit ainsi à Paul l'occasion de donner un enseignement dont l'application s'étend infiniment plus loin que les circonstances locales de l'Église corinthienne : un enseignement sur l'amour divin. C'est un principe universel et immuable, un principe qui vaut pour tous les lieux et tous les temps, un principe qui s'applique non seulement au problème des dons charismatiques mais à toute question qui peut se soulever dans nos relations avec les autres, et surtout avec nos frères et soeurs dans la foi.

Ce chapitre se divise en trois parties : (1) la prééminence de l'amour, versets 1 à 3 ; (2) les propriétés de l'amour, versets 4 à 7 ; (3) la permanence de l'amour, versets 8 à 13.

La prééminence de l'amour

La première section, versets 1 à 3, parle de la valeur prééminente de l’agapè. 1 Corinthiens 13.1-3 (TOB) : 1 Quand je parlerais en langues, celle des hommes et celle des anges, s'il me manque l'amour, je suis un métal qui résonne, une cymbale retentissante. 2 Quand j'aurais le don de prophétie, la science de tous les mystères et de toute la connaissance, quand j'aurais la foi la plus totale, celle qui transporte les montagnes, s'il me manque l'amour, je ne suis rien. 3 Quand je distribuerais tous mes biens aux affamés, quand je livrerais mon corps aux flammes, s'il me manque l'amour, je n'y gagne rien.

Dans ces trois versets, l'apôtre Paul compare six choses qui ont déjà une très grande valeur avec la valeur infiniment prééminente de l’agapè. Même si je possède ces choses dans toute leur plénitude – et chacune d'elles est déjà plus précieuse que tout l'or et tout l'argent du monde – et que je n'ai pas l’amour, je n'aurai, finalement, rien du tout. L’agapè ne constitue pas 51% de leur valeur, ni même 99%, mais 100%. Quels que soient les dons que je possède, quels que soient les actes de vertu et de piété que j'accomplis, si je n'ai pas l'amour, je suis spirituellement un zéro. Même pas un sur dix. Les six choses auxquelles Paul compare l'amour sont rangées dans un ordre ascendant, selon leur valeur.

1. Le don des langues.

Au bas de l'échelle il y a le don de parler en langues. En quoi consistait ce don ? C'était la faculté de réciter, à l'instar des apôtres au jour de la Pentecôte, les hauts faits de Dieu et de louer son nom dans une langue étrangère qu'on n'a pas apprise. Si je possédais le don des langues au plus haut degré ; si j'étais capable de louer Dieu non seulement dans chacun des quatre mille langues et dialectes humains mais encore dans des langues célestes, et que je n'avais pas l'amour, mes discours ne seraient que du tapage. Je ne ferais que vous casser les oreilles avec mes langues.

Seul l'amour peut transformer des bruits sans valeur en une communication utile. Et Dieu sait qu'il y a déjà comme ça assez de bruits sans valeur dans notre vie ! La meilleure langue de toutes, la langue même de Dieu, c'est l'amour. Par conséquent, même une langue miraculeuse, s'il n'y a pas d'amour, n'est pas céleste, elle est infernale.

2. Le don de prophétie.

Selon 1 Corinthiens 14.1-5, la prophétie est de loin supérieure au parler en langues. Le prophète est le porte-parole de Dieu. Il ne se contente pas de prier ou de déclamer des louanges dans une langue étrangère, il communique aux hommes la pensée même de Dieu. Il ne s'adresse pas à Dieu de la part des hommes, il s'adresse aux hommes de la part de Dieu. Et pourtant, un prophète qui n'a pas d'amour pour ceux à qui il s'adresse, n'est rien. Ephésiens 4.15 (TOB) : 15 Mais, confessant la vérité dans l'amour, nous grandirons à tous égards vers celui qui est la tête, Christ.

Jésus a dit que le plus grand prophète de l'ancienne alliance était Jean-Baptiste (Lc 7.28). Jean a dû, par conséquent, prophétiser avec amour. Et pourtant, le style de Jean-Baptiste était plutôt sévère. C'est qu'on ne peut pas juger uniquement par son style si un prophète parle avec amour ou pas. L'agapè exige la douceur dans certaines circonstances et la sévérité dans d'autres. Être doux alors que les gens ont besoin de sévérité n'est pas l'amour, pas plus que d'être dur alors que les gens ont besoin de douceur. L’agapè agit en fonction des besoins de l'autre et non pas en fonction de son propre tempérament. C'est parce que Jésus aimait les pharisiens qu'il se montrait si sévère à leur égard. Ils avaient désespérément besoin d'un bon traitement de choc, c'était là leur dernier espoir.

3. La connaissance.

Plus audacieuse encore est l'affirmation suivante : Quand j'aurais la science de tous les mystères et de toute la connaissance. Voilà la forme la plus élevée de la connaissance : la science de tous les mystères divins. Il s'agit là des grandes vérités du dessein caché de Dieu pour sauver le monde en Jésus Christ. Connaître ces vérités-là est une chose bien plus précieuse que la prophétie ; ce sont des secrets dans lesquels même les anges désirent plonger leurs regards (1 P 1.12). Notre époque anti-intellectuelle et anti-contemplative apprécie la valeur de contempler les mystères du dessein de Dieu à peu près autant qu'un mystique médiéval aurait apprécié un bon tuyaux à la bourse.

Or, même ce trésor inestimable qu'est la connaissance des choses divines perd toute valeur sans l'agapè. Vous savez, certains s'imaginent que puisqu'ils ont certaines connaissances religieuses, ils ont le droit de mépriser les autres. Savez-vous ce qu'ils sont aux yeux de Dieu ? Rien que de gros zéros. On confère le titre de « docteur » à quelqu'un pour marquer son niveau d'éducation ou d'érudition. Avez-vous jamais entendu parler de quelqu'un qui reçoit un doctorat en amour ? Le discernement spirituel, la connaissance des Ecritures, la finesse intellectuelle, la virtuosité exégétique, sans l'amour, ne servent qu'à cultiver l'orgueil. 1 Corinthiens 8.1 (TOB) : 1 La connaissance enfle, mais l'amour édifie.

Ce n'est pas que les deux choses soient incompatibles. Au contraire, la connaissance est l'accompagnement nécessaire de l'amour. Dieu ne veut pas que son Église soit une bande d'ignares qui, avec tout l'amour du monde, tombent dans toutes sortes d'erreurs mortelles. Voilà pourquoi la Bible parle de l'amour avec la connaissance. Philippiens 1.9 (FC) : 9 Voici la prière que j'adresse à Dieu pour vous : je demande que votre amour grandisse de plus en plus, qu'il soit enrichi de vraie connaissance et de compréhension parfaite.

4. La foi.

Quatrièmement, Paul dit que l'amour est plus grand que le don de la foi. Même si ce don va jusqu'à comporter la plénitude de la foi et le pouvoir de faire des miracles, il est tout autant rendu inutile par l'absence de l'amour.

Cela est d'autant plus remarquable que la foi est plus grande que la connaissance. Toute la vie chrétienne commence par la foi, progresse par la foi, et s'achève par la foi. Sans la foi, il est impossible d'être agréable à Dieu (Hé 11.6). Sans la foi, personne ne peut être sauvé (Jn 3.18). La foi est la clé dorée qui ouvre toutes les portes de la présence et de la puissance de Dieu dans notre vie. Il n'y avait rien que Jésus cherchait plus que la foi – sauf l'amour. La foi existe pour l'amour, tout comme la racine existe pour le fruit, tout comme le commencement existe pour la fin. Même la foi, sans les oeuvres de l'amour, est morte.

Galates 5.6 (TOB) : 6 Car, pour celui qui est en Jésus Christ, ni la circoncision, ni l'incirconcision ne sont efficaces, mais la foi agissant par l'amour. Peut-il m'arriver de croire chaque mot de la Bible tout en manquant d'amour ? Oui, ça peut m'arriver ! La foi sans amour aboutit inévitablement à une religion légaliste et fanatique.

5. Les oeuvres caritatives.

Cinquièmement, dans cette déclaration de nullité, Paul souligne que des actes extérieurs de la charité ne suffisent pas. Le texte grec du verset 3 dit littéralement : « Quand je réduirais tous mes biens en morceaux ou en bouchées pour distribuer ». Même quand j'irais jusqu'à distribuer tout ce que je possède, morceau par morceau, s'il me manque l'amour, cela ne m'apporterait spirituellement rien du tout.

Le don de l'amour – le don d'une estime bienveillante dans la pensée – ne peut être suppléé par aucun don extérieur. Le dévouement à l'amélioration du sort d'autrui peut impliquer beaucoup d'efforts et d'activité. Mais il y a des dévouements qui s'accompagnent de mépris pour la personne à laquelle on se dévoue. Au fond de soi-même, on la regarde comme ne méritant pas le service qu'on lui fait.

Les bonnes oeuvres sans l'amour ne valent rien, car ce que Dieu veut, en premier lieu, ce n'est pas des gestes que nous pouvons accomplir, c'est notre coeur. Dieu est le maître du monde entier : il n'a pas besoin de nous. Il lui suffit de formuler une pensée pour accomplir toutes les bonnes oeuvres qu'il veut. Mais il y a une chose que même Dieu est incapable de se donner à lui-même : notre amour. Voilà ce qui est pour lui la chose la plus précieuse du monde, et c'est à nous qu'il l'a confiée !

6.

Le martyre. Je pourrais mourir au bûcher, accepter la mort la plus horrible, mais si je n'ai pas l'amour, cela serait sans valeur devant Dieu. Certains fidèles des IIe et IIIe siècles ont développé ce qu'on pourrait appeler un « complexe de martyre » : ils couraient de ville en ville, cherchant à mourir dans les persécutions pour que leur nom devienne célèbre ou pour améliorer leur place au ciel. Je pourrais être le plus dévoué des fanatiques religieux – un chrétien qui court au martyre, un kamikaze, un bouddhiste qui s'immole par le feu, un missionnaire qui se fait dévorer par des cannibales – s'il me manque l'amour, ce serait peine perdue.

Conclusion

Cela simplifie rudement notre vie de savoir qu'une seule chose est nécessaire. Dans un sens, la vieille chanson des Beatles disait vrai : « All you need is love » (L'amour c'est tout ce dont on a besoin), à condition d'entendre par « amour » l’agapè divine et non pas le sexe ou un simple sentiment. L’agapè est la perle de grand prix qui vaut bien plus que tout ce que nous pourrions sacrifier pour l'acquérir.

Si un jour vous en avez la possibilité, écoutez des familles pauvres qui sont devenues riches parler de leur passé. D'habitude, elles disent toutes à peu près la même chose : les meilleures années, au fond, c'étaient les années de pauvreté, car il y avait alors plus d'amour. Ecoutez Mère Theresa et les religieuses à Calcutta. Elles ont une joie incroyable au milieu d'une misère incroyable parce qu'elles ont un amour incroyable. Céder même un peu d'amour pour un tas de biens matériels est l'affaire la plus idiote que nous pourrions jamais faire. Un marché de dupes. Et pourtant, nous nous faisons avoir tout le temps.

L'agapè est étonnamment simple. Voilà justement ce qui la rend si difficile. Elle n'est pas trop compliquée pour nous, c'est nous qui sommes trop compliqués pour elle. Il faut apprendre à avoir le coeur pur, un cœur non-partagé, si nous voulons voir Dieu. Car Dieu lui-même est pur de cœur ; il n'y a aucun mélange dans son intention à notre égard : aucune mauvaise foi, aucune hypocrisie, aucune duplicité, aucune hésitation, aucune arrière-pensée. Voilà comment il gouverne l'univers. Et voilà comment nous sommes appelés à gouverner notre vie.