Dans quel sens l'Église est-elle une ? Invisiblement, comme on le souligne dans le protestantisme, ou visiblement, comme le souligne le catholicisme ? L'Église est à la fois visible et invisible, à la fois une organisation et un organisme, à la fois un corps historique et un corps mystique. Elle est une invisiblement et visiblement.
L'Église est le corps mystique ou spirituel du Christ. Son âme, tout comme celle d'un être humain, est invisible. Les yeux charnels ne voient que les corps charnels ; il faut une vision spirituelle pour voir l'âme, qu'il s'agisse de l'âme d'un être humain ou de celle de l'Église. C'est avec votre discernement spirituel que vous voyez l'âme d'une personne ; vos yeux corporels ne voient que son corps.
Mais l'Église est aussi une réalité visible, tout comme nous le sommes nous-mêmes. Elle est là, existant tangiblement et objectivement dans l'histoire. Et c'est là aussi, sur le registre de son existence visible et historique, qu'elle doit être une. Quand le Christ revient à la fin du monde, c'est pour chercher son épouse, l'Église, et non les Églises. Le Seigneur n'est pas polygame. Il ne possède pas un harem mais n'a qu'une épouse. Or cette épouse n'est pas un esprit désincarné, elle a un corps. Un seul corps.
Tout comme une seule âme est unie à un seul corps, tout comme un seul mari est uni à une seule femme, et tout comme il y a « un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême » (Ep 4.5), ainsi il y a une seule Église. Actuellement, ses membres sont séparés les uns des autres, ils vivent ainsi dans une situation aberrante ! Mais tous les croyants baptisés sont membres de l'unique Église de Jésus Christ. Ils sont frères et sœurs, même s'ils ne s'en rendent pas compte.
Le baptême scelle notre unité : nous sommes baptisés dans une seule famille. Et pourtant, le baptême n'est pas la raison d'être de l'Église ; il n'est pas non plus, dans son essence, un acte d'Église. Les Écritures lient toujours le baptême à la foi dans le dessein de Dieu. En fait, le baptême est l'expression de cette foi. L'apôtre Pierre dit du baptême qu'il est une réponse à l'appel de Dieu (1 P 3.21).
Tout comme le baptême, le repas du Seigneur (l'eucharistie) est un puissant facteur d'unité. Celui qui vient vers nous dans le pain et le vin est un, et il veut amener toutes ses brebis pour qu'il y ait un seul troupeau et un seul berger.
La coupe de bénédiction que nous bénissons n'est-elle pas une communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons n'est-il pas une communion au corps du Christ ? 17 Puisqu'il y a un seul pain, nous sommes tous un seul corps : car tous nous participons à cet unique pain (1 Co 10.16-17).
La présence du Christ dans la communion est comme un aimant qui attire et rassemble dans la maison du Père des enfants dispersés et qui empêche des fils prodigues en puissance de partir dans un pays lointain. La plus grande force d'attraction dans l'Église n'est pas ce qu'elle enseigne (aussi crucial que soit cet enseignement) mais la personne divine qui s'y trouve. « Il est là ! Il faut donc que je sois là, moi aussi. »
L'unité de l'Église réside, en dernière analyse, dans le Christ lui-même : « un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême ». Le plus important, c'est le premier. Le Christ est non seulement le Seigneur de l'Église, il est aussi la tête de l'Église. Un Seigneur n'appartient pas nécessairement au peuple qu'il gouverne ; une tête, par contre, doit forcément faire partie de son corps. L'Église est le corps du Christ. Voilà pourquoi la Puissance de la mort n'aura pas de force contre elle. Voilà pourquoi elle revient à la vie chaque fois qu'on la donne pour mourante. Voilà pourquoi le monde la hait et la craint.
L'universalité de l'Église
Puisque l'Église est le corps du Christ, elle est une. Elle est Église unique et mondiale plutôt que secte locale. L'Église est pour tout le monde. Les seules conditions d'entrée sont la foi et le baptême.
Il n'y a plus ni Juif, ni Grec ; il n'y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n'y a plus l'homme et la femme ; car tous, vous n'êtes qu'un en Jésus Christ (Ga 3.28).
Comment pouvons-nous prétendre être l'Église universelle puisque nous n'appartenons qu'à une religion particulière parmi tant d'autres ? C'est que le Dieu universel a choisi de se faire connaître aux hommes et aux femmes dans la personne d'un homme particulier : Jésus de Nazareth. Ça, c'est un fait. Si notre attitude ne peut pas admettre ce fait, il faut changer notre attitude, car nous ne pouvons pas changer le fait. Le Christ est le Représentant particulier de tous. Un seul est mort pour tous. Et l'Église est son peuple particulier qui existe pour tous les peuples.
L'Église est universelle dans le sens où elle est accueillante. Elle invite les hommes et les femmes de toutes nations, de toutes races, de tous âges, de toutes classes socio-économiques, du criminel le plus grossier jusqu'au saint le plus pur.
Et pourtant, l'Église n'est pas un creuset où toutes les différences individuelles sont fondues dans l'uniformité. Elle ressemble plutôt à un plat où chaque ingrédient garde son identité propre. Toutes les différences de sexe, de race, de personnalité et autres qui font que nous sommes ce que nous sommes sont transformées et perfectionnées. Dans l'Église, les Chinois restent chinois, les Français restent français ; les hommes sont des hommes et les femmes sont des femmes. Quand Paul dit que, dans le Christ, il n'y a plus ni Juif ni Grec, ni homme ni femme, il ne veut pas dire que nous sommes tous déracinés de notre culture et rendus asexués ; il veut dire que nous sommes tous accueillis au même titre.
Le Créateur aime les différences. C'est ainsi qu'il a conçu l'univers : il a différencié la lumière et les ténèbres, les eaux supérieures et les eaux inférieures, les mers et les continents, les êtres animés et non animés, les oiseaux et les poissons, l'être humain et les animaux, l'homme et la femme. Vive la différence ! Les saints sont tous différents alors que les pécheurs se ressemblent tous. Les tyrans sont tous stéréotypés alors que chaque saint est unique.
Cette Église ne peut pas être divisée par la mort. Voilà pourquoi l'Église est une à travers le temps et l'éternité : l'Église militante (sur la terre) et l'Église triomphante (au ciel).
Au dernier jour, le Christ supprimera de son Église les trois ennemis de l'unité, les trois ruptures, les trois aliénations que sont le péché, aliénation de Dieu et de l'âme ; la mort, aliénation de l'âme et du corps ; et la souffrance, aliénation du corps et du monde. Le péché a été vaincu à la croix. La mort a été engloutie dans la victoire au matin de Pâques. Et, un jour, au ciel, Dieu essuiera toute larme de nos yeux. Les larmes représentent, à l'instar des flots de la mer, la séparation et la mort. L'Église, telle l'arche de Noé, navigue sur une mer de larmes. Mais elle fait route vers le ciel.
Ce qui brise l'unité
Un esprit de parti (de sectarisme) est une menace pour l'unité. L'esprit de parti consiste à former des cliques qui se coupent des autres chrétiens. L'esprit de parti est, dit l'apôtre Paul, une œuvre de la chair : « rivalités », « dissensions », « factions » (Ga 5.19). L'esprit sectaire est d'origine diabolique (Jc 3.14-18). L'esprit de parti se manifeste lorsque des chrétiens adoptent d'une manière exclusive un nom ou un titre pour dénommer l'Église. L'appartenance à l'Église et les « frontières » de l'Église ne peuvent être délimitées par un nom, un titre, une appellation exclusifs (1 Co 1.12). Les multiples appellations données aux Églises de nos jours sont le fruit de siècles de sectarisme et de conflits. À cet égard, il est intéressant de comparer la situation actuelle à celle qui prévalait aux premiers temps de l'Église.
Dans le Nouveau Testament les différentes Églises sont tout d'abord désignées par les villes ou les régions où elles se réunissent et vivent leur foi ; ces écrits parlent de l'Église qui était à Jérusalem (Ac 8.1), les Églises de la Macédoine (2 Co 8.1) ; les Églises de la Galatie (Ga 1.2). L'Église peut même être l'Église d'une maison ou qui se réunit chez quelqu'un (Rm 16.5 ; 1 Co 16.19 ; Col 4.15 ; Phm 2). Les seuls noms qui soient dignes de côtoyer celui de l'Église sont ceux de Dieu et du Christ ; aucune Église du Nouveau Testament n'est désignée par le nom d'un apôtre ou d'un chef reconnu (cf. 1 Co 1.2 ; Ga 1.13 ; 1 Th 2.14 ; Rm 16.16). Une telle pratique est d'ailleurs explicitement réprouvée par l'apôtre Paul (cf. 1 Co 1.12 ; Ac 24.5).
Le plus souvent c'est le mot « Église », sans autre qualificatif, qui sert à désigner le peuple des chrétiens ; ce fait ressort, en particulier, dans le livre des Actes (Ac 2.47 ; 5.11 ; 12.1-5 ; 15.3-4 ; 18.22 ; cf. Rm 16.1 ; 1 Co 12.28 ; Ép 5.23-32).
La quête d'une unité des Églises et des chrétiens passe aussi par une simplification en ce qui concerne l'appellation de l'Église. Il faut permettre au mot « Église » de retrouver son sens premier – et non sectaire – d'assemblée du peuple chrétien réunie pour adorer Dieu, le prier, entendre sa Parole, le servir. Les diverses Églises ne doivent pas se voir comme les représentantes d'une confession ou les porte-paroles d'un parti, mais comme des communautés d'hommes et de femmes qui n'ont en fait qu'un seul nom, celui du Christ, celui de « chrétiens » (cf. 1 P 4.15,16).
Le sectarisme existe aussi lorsqu'on baptise dans le but de rattacher les hommes à soi ou à son parti plutôt qu'au Christ (1 Co 1.13-17). L'esprit de parti peut aussi résulter d'une insistance à imposer ses opinions ou même ses droits au détriment de l'unité (1 Co 8.1-9.33 ; 10.23-33 ; Rm 14.1-15.13 ; Tt 3.9, 10)
L'orgueil est une menace permanente pour l'unité (1 Co 3.21 ; 4.6, cf. Rm 12.3). Lorsque les chrétiens acceptent l'injustice, la débauche sexuelle, la haine, les pratiques occultes et tout ce que condamne la loi de Dieu, ils contribuent à la fragmentation de l'Église (1 Co 5.1-3 ; 6.1-20 ; 10.1-11 ; Ga 5.13-21 ; cf. 1 P 1.13-16). Le désordre dans les assemblées, un usage abusif ou erroné des dons spirituels, peuvent aussi mettre en péril l'unité de l'Église (1 Co 14.1-39).